Introduction
Évoquer la question des risques professionnels c’est nécessairement traiter des enjeux de préservation de la santé des travailleurs. Cette perspective classique en matière d’évaluation des risques professionnels s’étend, depuis quelques années, au rôle du travail dans la construction de la santé. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de préserver ou construire, la prévention occupe une place centrale. Néanmoins, quels sont les points d’accord ou de désaccord entre les approches centrées sur les risques psychosociaux (RPS) et celles ayant trait à la qualité de vie au travail (QVT) ? Ces perspectives doivent-elles être distinguées ou bien considérées comme complémentaires ? Les employeurs n’ont-ils pas tout intérêt à promouvoir et protéger la santé de leurs salariés et leur assurer une qualité de vie au travail ? (Le Bihan, 2013). Ces interrogations constituent le fondement de cet article dont la finalité est de proposer une « troisième » voie susceptible de répondre aux exigences opérationnelles de prévention et développement de la santé en lien avec l’efficience des systèmes productifs.
Essor des risques en psychologie du travail et ergonomie
Historiquement le concept de risque est associé à celui de l’hygiène et de la sécurité au travail et ce dès l’essor et le développement de la psychologie (Lahy, 1916). Le risque, défini comme un danger inhérent à une situation ou une activité, constitue une cause dont les conséquences sont les accidents du travail et les maladies professionnelles, notamment. Ces points ont très tôt fait l’objet de recherches par les psychotechniciens. Il s’agit alors de dépister, au moyen de tests, l’accidentabilité de certains individus potentiellement « prédisposés » à avoir des accidents. L’ergonomie s’est fortement opposée à cette idée qui finalement n’envisage qu’un déterminisme interne aux accidents : le facteur humain comme facteur de risque. Ce sujet a également fait l’objet d’investigations dans la conception des postes de pilotage d’avion afin d’améliorer la sécurité des vols et donc réduire les risques d’accident liés notamment aux dispositifs techniques et au contexte de leur utilisation. Ici, c’est plutôt l’interaction entre le système technique et l’homme qui constitue un risque (Amalberti, 1996).
D’ailleurs, certains travaux ont même montré l’apport à la fiabilité du facteur humain dans le travail (Leplat, 1985 ; Kouabenan, Cadet, Hermand, & Munoz Sastre, 2007).
Deux usages du terme RPS se distingue (Gollac, 2012), d’une part pour qualifier des troubles plus ou moins précis de l’état psychique de certains travailleurs et d’autre part pour mettre l’accent sur les risques spécifiquement liés au travail et engendrés par des mécanismes psychosociaux. Cette seconde perspective constitue le fondement de la définition du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail qui les définit comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (Gollac, ibid). Ainsi, les RPS résultent de conditions « préalables ». Il s’agit donc de conséquences qui en entraînent d’autres au plan de la santé des individus. Ici, la dimension psychosociale renvoie à l’origine du risque – porté par l’environnement et l’appréhension qu’en a l’individu – et non à sa manifestation. Toute situation de travail peut alors comporter des facteurs de RPS, ce n’est pas pour autant que des troubles psychosociaux (TPS3) sont observés. Autrement dit, l’expression elle-même de risques psychosociaux n’est pas introduite pour des raisons scientifiques mais essentiellement pour produire le consensus qui fait défaut dans ce champ. Les risques dont on parle ici ne sont pas psychosociaux mais psychiques et constituent des formes avérées de manifestation de la souffrance humaine au travail. Leur émergence dans le champ social de l’entreprise ne constitue pas un argument suffisant pour les désigner comme tel. Ainsi, même si les facteurs de risques sont psychosociaux cela ne signifie pas que les risques et les troubles le soient aussi (Roche, 2010).
À l’origine des incidences psychologiques des conditions actuelles d’emploi et de travail, il y a les facteurs suivants : l’intensification du travail (Askenazy et al., 2006), les dépendances fortes par rapport aux demandes des collègues et des clients, des consignes contradictoires et des délais raccourcis (Bué & al., 2004), la précarité et la menace du chômage (Appay & Thébaud-Mony, 1997). Les facteurs à l’origine des souffrances des salariés tiennent beaucoup à l’instabilité et la complexité des organisations ainsi qu’aux difficultés des managers, du fait de cette complexité, à piloter réellement et de manière satisfaisante ces organisations.
D’ailleurs, certains travaux ont même montré l’apport à la fiabilité du facteur humain dans le travail (Leplat, 1985 ; Kouabenan, Cadet, Hermand, & Munoz Sastre, 2007).
Deux usages du terme RPS se distingue (Gollac, 2012), d’une part pour qualifier des troubles plus ou moins précis de l’état psychique de certains travailleurs et d’autre part pour mettre l’accent sur les risques spécifiquement liés au travail et engendrés par des mécanismes psychosociaux. Cette seconde perspective constitue le fondement de la définition du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail qui les définit comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (Gollac, ibid). Ainsi, les RPS résultent de conditions « préalables ». Il s’agit donc de conséquences qui en entraînent d’autres au plan de la santé des individus. Ici, la dimension psychosociale renvoie à l’origine du risque – porté par l’environnement et l’appréhension qu’en a l’individu – et non à sa manifestation. Toute situation de travail peut alors comporter des facteurs de RPS, ce n’est pas pour autant que des troubles psychosociaux (TPS3) sont observés. Autrement dit, l’expression elle-même de risques psychosociaux n’est pas introduite pour des raisons scientifiques mais essentiellement pour produire le consensus qui fait défaut dans ce champ. Les risques dont on parle ici ne sont pas psychosociaux mais psychiques et constituent des formes avérées de manifestation de la souffrance humaine au travail. Leur émergence dans le champ social de l’entreprise ne constitue pas un argument suffisant pour les désigner comme tel. Ainsi, même si les facteurs de risques sont psychosociaux cela ne signifie pas que les risques et les troubles le soient aussi (Roche, 2010).
À l’origine des incidences psychologiques des conditions actuelles d’emploi et de travail, il y a les facteurs suivants : l’intensification du travail (Askenazy et al., 2006), les dépendances fortes par rapport aux demandes des collègues et des clients, des consignes contradictoires et des délais raccourcis (Bué & al., 2004), la précarité et la menace du chômage (Appay & Thébaud-Mony, 1997). Les facteurs à l’origine des souffrances des salariés tiennent beaucoup à l’instabilité et la complexité des organisations ainsi qu’aux difficultés des managers, du fait de cette complexité, à piloter réellement et de manière satisfaisante ces organisations.
Approches des RPS
Dans le champ des RPS, les principales approches s’appuient sur les modèles élaborés pour le stress au travail. Ainsi, l’accent est mis soit sur des processus du fonctionnement humain, des facteurs socio-organisationnels ou des mécanismes particuliers. Il est possible de distinguer différents types d’approche :
Cette tension, inhérente au travail, peut être faible ou forte. Dans le premier cas, les situations de travail contribuent à la bonne santé et la performance tandis que dans le second les situations sont à l’origine de RPS. Deux autres facteurs jouent également un rôle : le contexte socio-économique général de l’entreprise et les relations professionnelles. Ces quatre champs influencent le vécu des situations de travail tout en jouant sur la santé des salariés et la performance de l’entreprise :
In fine, ce modèle permet de comprendre la façon dont les situations de travail sont conceptuellement modélisées. Toutefois, il ignore une caractéristique indispensable – celle du contexte externe. Ce contexte, le plus souvent associé à diverses dimensions culturelles (e.g., Hofstede, 1984 ; Trompenaars, 1993), s’avère crucial dans l’explication du processus de formation des dites exigences des salariés et de l’organisation.
- L’approche psychosociale s’appuie sur un modèle interactionniste (Neboit & Vézina, 2002) ou transactionnel (Lazarus & Folkman, 1984) ;
- L’approche causaliste fait appel au modèles de « Demande-Autonomie-Soutien » (Karasek & Theorell, 1990) et de « Déséquilibre efforts-récompenses » (Siegrist, 1996) ;
- Enfin, il y a des approches centrées sur l’activité de travail qui sont directement reliées à des perspectives disciplinaires telles que la psychodynamique du travail, la clinique de l’activité ou l’ergonomie (Valléry & Leduc, 2014).
Cette tension, inhérente au travail, peut être faible ou forte. Dans le premier cas, les situations de travail contribuent à la bonne santé et la performance tandis que dans le second les situations sont à l’origine de RPS. Deux autres facteurs jouent également un rôle : le contexte socio-économique général de l’entreprise et les relations professionnelles. Ces quatre champs influencent le vécu des situations de travail tout en jouant sur la santé des salariés et la performance de l’entreprise :
- les exigences des salariés correspondent à ce qui est perçu pour réaliser le travail dans de bonnes conditions ; il s’agit, par exemple, de l’autonomie, de la reconnaissance, de la stabilité d’emploi ou encore de l’équilibre vie au travail/vie hors travail ;
- les exigences de l’organisation renvoient à ce qui est perçu de l’organisation et des moyens de travail. Au plan de l’organisation du travail, il est possible d’évoquer le temps de travail, la charge, les formes de prescription, la répartition des fonctions, le mode de rémunération, le type de management voire les moyens de communication ;
- le contexte de l’entreprise concerne son environnement socio-économique et notamment sa stratégie, son mode de gouvernance, son histoire ainsi que les perspectives d’emploi et de développement ; enfin, les relations professionnelles recouvrent les relations nouées à l’occasion du travail avec les collègues, l’encadrement, les personnes extérieures et les instances représentatives du personnel (IRP).
In fine, ce modèle permet de comprendre la façon dont les situations de travail sont conceptuellement modélisées. Toutefois, il ignore une caractéristique indispensable – celle du contexte externe. Ce contexte, le plus souvent associé à diverses dimensions culturelles (e.g., Hofstede, 1984 ; Trompenaars, 1993), s’avère crucial dans l’explication du processus de formation des dites exigences des salariés et de l’organisation.
L’approche par la QVT
L’approche par la QVT, qui s’inscrit dans le courant de psychologie positive offre une palette d’interprétations qui contient à la fois des facteurs subjectifs et des indicateurs structuraux. L’idée de QVT n’est pas récente en soi. Elle remonte aux travaux de Mayo (1933), se consolide dans la théorie du job design (Hackman & Oldham, 1976) et est articulée pour la première fois dans les années 1960 par un porte-parole des syndicats chez General Motors (Guest, 1980). Elle se développe ensuite en Suède (Jőnsson, 1982) et atteint la France dans les années 1970 (Ripon, 1983).
Présentée comme un objectif idéologique dans les premiers travaux scientifiques (Guest, 1980 ; Walton, 1975), la QVT est évaluée à travers les indicateurs structuraux, tels que la diversité au travail, la participation des employés, le taux d’absentéisme et de turnover, le niveau de performance, etc... Par exemple, selon la Commission Européenne, la QVT inclut les dimensions suivantes : qualité intrinsèque du travail, utilisation des compétences et gestion des carrières, égalité des genres, santé et sécurité au travail, flexibilité et sureté, accès à l’emploi, organisation du travail et réconciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, dialogue social et implication des employés, diversité et absence de discrimination, performance au travail (Royuela, Lopez-Tomayo, & Surinach, 2008). Plus tard, se développe l’approche par besoins qui souligne le caractère subjectif de la QVT (Martel & Dupuis, 2006 ; Sirgy, Efraty, Siegel, & Lee, 2001). Quelle que soit l’approche – à travers des indicateurs structuraux ou subjectifs – la prise en compte de l’humain dans les situations de travail et de la subjectivité des individus au travail occupent une place centrale dans la conceptualisation de la QVT. En revanche, en raison d’une telle pluralité d’approches, d’un côté, et de la concurrence entre le discours scientifique et ceux quotidien et politique de l’autre, il n’existe pas de définition stable et consensuelle de la QVT. Les définitions proposées varient des plus générales aux plus spécifiques. Par exemple, l’ANACT (2008) soutient qu’il s’agit d’une vision subjective qui se caractérise différemment selon les contextes. Le courant canadien (Martel & Dupuis, 2006 ; Sirgy et al., 2001) propose de penser la QVT comme une construction spatio-temporelle subjective fondée sur la satisfaction des besoins individuels (Martel & Dupuis, 2006). Tavani et al. (2014) résument que de telles disparités proviennent de la nature du concept de QVT qui correspond plus à un objectif à atteindre qu’à un cadre conceptuel.
Reilly (2012), dans l’introduction de l’ouvrage « Work and Quality of Life », réconcilie les deux en mettant au premier plan l’éthique au travail comme garant d’une bonne QVT. Elle souligne que le dilemme éthique doit être considéré à tous les niveaux affectant une organisation donnée et rappelle l’objectif de la psychologie du travail et des organisations qui consiste à améliorer l’efficacité organisationnelle tout en maintenant le bien-être des employés (« to improve the efficiency of an organization while maintaining employee well-being ») (idem, 8). Cet objectif transversal nous indique qu’au cœur du concept de QVT doit être placé l’interaction ajustable entre l’employé, son employeur, ainsi que le travail impliquant la présence d’autres individus (collègues, supérieurs, subordonnés, usagers…) située dans un contexte culturel et spatiotemporel donné.
Au-delà de la prise en compte de tous les leviers de construction d’une QVT, l’idée d’interaction ajustable permet de rechercher les zones de bon et de moins bon fonctionnement à l’intérieur du chacun de ces leviers. Ainsi, l’idée d’équilibre apparaît deux fois dans cette conceptualisation de la QVT : une première fois dans l’interaction entre tous les éléments du système et une deuxième fois à travers la présence simultanée des freins/facteurs de RPS et des ressources/avantages à l’intérieur d’un même élément. Par exemple, la pénibilité cognitive, appréciée sous l’angle de la perception de l’effort intellectuel important en matière de traitement et de stockage des informations (Laberon & Lagabrielle, 2013), peut être à la fois vécue comme une contrainte, mais aussi comme une source de stimulation intellectuelle, de l’épanouissement professionnel. Cette contrainte cognitive sera d’autant plus perçue comme un avantage grâce à une politique organisationnelle qui la valorise et la récompense (e.g., Locufier, Laberon, & Lagabrielle, 2012). Le résultat de l’interaction entre l’individu, la tâche et l’organisation varie en fonction des caractéristiques de chacun de ces éléments qui constituent de fait des leviers sur lesquels il est possible d’agir. Cela signifie que la caractéristique de la tâche, telle que la pénibilité cognitive, pourrait être identifiée comme un facteur potentiel des RPS, ainsi que comme une ressource permettant à l’individu d’avoir un sentiment de bien-être, d’accomplissement personnel.
De ce fait, cette même caractéristique de la tâche devient un déterminant de la QVT perçue par le tenant du poste mentionné. Imaginons que, la contrainte cognitive ne soit pas valorisée par l’organisation. Selon l’approche des RPS, il revient de signaler un tel risque à l’employeur. Qu’en est-il de l’approche par la QVT ? Lorsque la tâche ne représente pas d’avantages en soi et n’est pas valorisée par l’organisation, le bon réflexe consisterait à chercher des ressources en dehors de la tâche et de l’organisation. Celles-ci peuvent être identifiées au niveau de deux autres éléments restant : l’individu et les relations au travail. Dans ces dernières, le rôle modérateur du soutien social a été largement documenté (Karasek & Theorell, 1990). Quant à l’individu, le sentiment d’efficacité professionnelle peut modérer de nombreux effets négatifs de la tâche (Lagabrielle & Vonthron, 2012).
De cet exemple découle la conclusion que la QVT exprime bien l’ajustement qui serait fonction de plusieurs types de facteurs et qui résulterait en conséquences positives pour l’employé et son organisation (Figure 3. Modèle dynamique de la QVT). Les antécédents de la QVT peuvent être définis en termes de quatre familles de variables, chacune représentant à la fois des contraintes et des ressources. Le job design renvoie aux caractéristiques de la tâche et à l’environnement de travail. Les caractéristiques de la tâche déclenchent la formation des états psychologiques critiques qui produisent des conséquences positives attitudinales et/ou comportementales (Hackman & Oldham, 1976 ; Morgeson & Humphrey, 2006). Le contexte organisationnel joue le rôle de substrat qui nourrit le développement personnel de l’individu et qui garantit un échange équitable et juste entre l’employé et l’employeur, ainsi qu’une égalité au travail (Elis & Pompili, 2002). Les variables externes correspondent à la fois aux facteurs politiques, économiques et socio-culturels et à la vie de l’individu en dehors du travail. Les variables individuelles sont assez hétérogènes et comprennent les dispositions, les sociodémographiques, ainsi que le profil de santé de l’individu. caractéristiques physiques,
L’ajustement de l’individu au contexte organisationnel et de travail est déterminé à la fois par ses caractéristiques, par l’organisation du travail et le contexte organisationnel. Cet ajustement prend la forme d’attitudes que l’individu développe à l’égard de trois cibles : le travail, l’organisation et les gens au travail. Il en résulte deux types de conséquences : 1) sanitaires et 2) comportementales (investissement au travail). Ces dernières ne font pas l’objet d’un intérêt spécifique dans l’approche par les RPS, mais sont souvent étudiées comme indicateurs de la QVT (e.g., Ellis & Pompili, 2002). L’examen des comportements d’investissement/désinvestissement au travail est souvent le seul moyen d’accéder à la véritable perception de la QVT par les employés. Comme l’indique Krausz (2002), l’insatisfaction ne résulte pas toujours en turnover, ni même en intention de quitter l’entreprise pour des raisons économiques. Il existe d’autres formes de désinvestissement, comme par exemple le raccourcissement du temps de travail via les retards, l’absence aux réunions, etc. (Hanisch, 2002). De telles déviances bénignes devraient être prises en compte comme signe de l’évaluation négative de la QVT par l’employé et ouvrir des pistes d’exploration approfondie afin d’identifier les facteurs de risques et les ressources permettant de rééquilibrer une situation de travail donnée (Burakova, Ducourneau, Gana, & Dany, 2014). Dans cette optique, les RPS ne sont plus vus comme un objectif, mais plutôt comme un levier permettant d’accéder à une qualité de vie au travail optimale.
Présentée comme un objectif idéologique dans les premiers travaux scientifiques (Guest, 1980 ; Walton, 1975), la QVT est évaluée à travers les indicateurs structuraux, tels que la diversité au travail, la participation des employés, le taux d’absentéisme et de turnover, le niveau de performance, etc... Par exemple, selon la Commission Européenne, la QVT inclut les dimensions suivantes : qualité intrinsèque du travail, utilisation des compétences et gestion des carrières, égalité des genres, santé et sécurité au travail, flexibilité et sureté, accès à l’emploi, organisation du travail et réconciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, dialogue social et implication des employés, diversité et absence de discrimination, performance au travail (Royuela, Lopez-Tomayo, & Surinach, 2008). Plus tard, se développe l’approche par besoins qui souligne le caractère subjectif de la QVT (Martel & Dupuis, 2006 ; Sirgy, Efraty, Siegel, & Lee, 2001). Quelle que soit l’approche – à travers des indicateurs structuraux ou subjectifs – la prise en compte de l’humain dans les situations de travail et de la subjectivité des individus au travail occupent une place centrale dans la conceptualisation de la QVT. En revanche, en raison d’une telle pluralité d’approches, d’un côté, et de la concurrence entre le discours scientifique et ceux quotidien et politique de l’autre, il n’existe pas de définition stable et consensuelle de la QVT. Les définitions proposées varient des plus générales aux plus spécifiques. Par exemple, l’ANACT (2008) soutient qu’il s’agit d’une vision subjective qui se caractérise différemment selon les contextes. Le courant canadien (Martel & Dupuis, 2006 ; Sirgy et al., 2001) propose de penser la QVT comme une construction spatio-temporelle subjective fondée sur la satisfaction des besoins individuels (Martel & Dupuis, 2006). Tavani et al. (2014) résument que de telles disparités proviennent de la nature du concept de QVT qui correspond plus à un objectif à atteindre qu’à un cadre conceptuel.
Reilly (2012), dans l’introduction de l’ouvrage « Work and Quality of Life », réconcilie les deux en mettant au premier plan l’éthique au travail comme garant d’une bonne QVT. Elle souligne que le dilemme éthique doit être considéré à tous les niveaux affectant une organisation donnée et rappelle l’objectif de la psychologie du travail et des organisations qui consiste à améliorer l’efficacité organisationnelle tout en maintenant le bien-être des employés (« to improve the efficiency of an organization while maintaining employee well-being ») (idem, 8). Cet objectif transversal nous indique qu’au cœur du concept de QVT doit être placé l’interaction ajustable entre l’employé, son employeur, ainsi que le travail impliquant la présence d’autres individus (collègues, supérieurs, subordonnés, usagers…) située dans un contexte culturel et spatiotemporel donné.
Au-delà de la prise en compte de tous les leviers de construction d’une QVT, l’idée d’interaction ajustable permet de rechercher les zones de bon et de moins bon fonctionnement à l’intérieur du chacun de ces leviers. Ainsi, l’idée d’équilibre apparaît deux fois dans cette conceptualisation de la QVT : une première fois dans l’interaction entre tous les éléments du système et une deuxième fois à travers la présence simultanée des freins/facteurs de RPS et des ressources/avantages à l’intérieur d’un même élément. Par exemple, la pénibilité cognitive, appréciée sous l’angle de la perception de l’effort intellectuel important en matière de traitement et de stockage des informations (Laberon & Lagabrielle, 2013), peut être à la fois vécue comme une contrainte, mais aussi comme une source de stimulation intellectuelle, de l’épanouissement professionnel. Cette contrainte cognitive sera d’autant plus perçue comme un avantage grâce à une politique organisationnelle qui la valorise et la récompense (e.g., Locufier, Laberon, & Lagabrielle, 2012). Le résultat de l’interaction entre l’individu, la tâche et l’organisation varie en fonction des caractéristiques de chacun de ces éléments qui constituent de fait des leviers sur lesquels il est possible d’agir. Cela signifie que la caractéristique de la tâche, telle que la pénibilité cognitive, pourrait être identifiée comme un facteur potentiel des RPS, ainsi que comme une ressource permettant à l’individu d’avoir un sentiment de bien-être, d’accomplissement personnel.
De ce fait, cette même caractéristique de la tâche devient un déterminant de la QVT perçue par le tenant du poste mentionné. Imaginons que, la contrainte cognitive ne soit pas valorisée par l’organisation. Selon l’approche des RPS, il revient de signaler un tel risque à l’employeur. Qu’en est-il de l’approche par la QVT ? Lorsque la tâche ne représente pas d’avantages en soi et n’est pas valorisée par l’organisation, le bon réflexe consisterait à chercher des ressources en dehors de la tâche et de l’organisation. Celles-ci peuvent être identifiées au niveau de deux autres éléments restant : l’individu et les relations au travail. Dans ces dernières, le rôle modérateur du soutien social a été largement documenté (Karasek & Theorell, 1990). Quant à l’individu, le sentiment d’efficacité professionnelle peut modérer de nombreux effets négatifs de la tâche (Lagabrielle & Vonthron, 2012).
De cet exemple découle la conclusion que la QVT exprime bien l’ajustement qui serait fonction de plusieurs types de facteurs et qui résulterait en conséquences positives pour l’employé et son organisation (Figure 3. Modèle dynamique de la QVT). Les antécédents de la QVT peuvent être définis en termes de quatre familles de variables, chacune représentant à la fois des contraintes et des ressources. Le job design renvoie aux caractéristiques de la tâche et à l’environnement de travail. Les caractéristiques de la tâche déclenchent la formation des états psychologiques critiques qui produisent des conséquences positives attitudinales et/ou comportementales (Hackman & Oldham, 1976 ; Morgeson & Humphrey, 2006). Le contexte organisationnel joue le rôle de substrat qui nourrit le développement personnel de l’individu et qui garantit un échange équitable et juste entre l’employé et l’employeur, ainsi qu’une égalité au travail (Elis & Pompili, 2002). Les variables externes correspondent à la fois aux facteurs politiques, économiques et socio-culturels et à la vie de l’individu en dehors du travail. Les variables individuelles sont assez hétérogènes et comprennent les dispositions, les sociodémographiques, ainsi que le profil de santé de l’individu. caractéristiques physiques,
L’ajustement de l’individu au contexte organisationnel et de travail est déterminé à la fois par ses caractéristiques, par l’organisation du travail et le contexte organisationnel. Cet ajustement prend la forme d’attitudes que l’individu développe à l’égard de trois cibles : le travail, l’organisation et les gens au travail. Il en résulte deux types de conséquences : 1) sanitaires et 2) comportementales (investissement au travail). Ces dernières ne font pas l’objet d’un intérêt spécifique dans l’approche par les RPS, mais sont souvent étudiées comme indicateurs de la QVT (e.g., Ellis & Pompili, 2002). L’examen des comportements d’investissement/désinvestissement au travail est souvent le seul moyen d’accéder à la véritable perception de la QVT par les employés. Comme l’indique Krausz (2002), l’insatisfaction ne résulte pas toujours en turnover, ni même en intention de quitter l’entreprise pour des raisons économiques. Il existe d’autres formes de désinvestissement, comme par exemple le raccourcissement du temps de travail via les retards, l’absence aux réunions, etc. (Hanisch, 2002). De telles déviances bénignes devraient être prises en compte comme signe de l’évaluation négative de la QVT par l’employé et ouvrir des pistes d’exploration approfondie afin d’identifier les facteurs de risques et les ressources permettant de rééquilibrer une situation de travail donnée (Burakova, Ducourneau, Gana, & Dany, 2014). Dans cette optique, les RPS ne sont plus vus comme un objectif, mais plutôt comme un levier permettant d’accéder à une qualité de vie au travail optimale.
Conclusion
L’examen de ces deux cadres de réflexion – RPS et QVT – a abouti à plusieurs constats.
Le premier consiste à distinguer les fondements culturels qui ont appuyé les deux types de réflexions. L’approche par les RPS est donc ancrée dans le rapport que les français ont au travail. L’approche par la QVT répond davantage à l’envie de construire une perception positive de la vie professionnelle : l’envie d’y exceller.
Le cadre réglementaire illustre bien cet état de fait en recherchant à pointer des obligations et des responsabilités au plan des conséquences plutôt que d’indiquer des voies de progrès et de développement des individus au travail.
Le deuxième constat renvoie à l’identification des conséquences prioritairement sanitaires dans l’approche par les RPS et celles à la fois sanitaires, comportementales et structurales dans l’approche par la QVT.
Le troisième constat renferme la différenciation entre des leviers d’action distincts. Si selon le cadre des RPS, l’enjeu est d’identifier les dysfonctionnements existants ou potentiels afin d’agir dessus, le dispositif de la QVT fait appel aux ressources qui résident soit dans l’élément en cause soit dans d’autres éléments du système.
Le quatrième constat est plutôt pessimiste en termes de clarté méthodologique quant à l’opérationnalisation problématique des deux construits. Face à ces observations, un modèle dynamique fondé sur l’interaction entre quatre éléments (travail, organisation, individu et ses relations au travail) placé dans un contexte socio-culturel et spatio-temporel est proposé. Sa spécificité consiste à supposer que chacun des éléments mentionnés peut être une source de dysfonctionnements ou une ressource rendant la vie au travail plaisante et agréable. Ainsi, une évolution fondamentale est introduite dans la prise en charge de la santé au travail en passant de la prévention à la promotion de celle-ci par une recherche de conditions favorables à sa construction.
La perspective de développement de ce modèle consisterait à préciser la façon dont l’organisation s’ajuste à une configuration contextuelle donnée et construit une QVT. De plus, un outil d’évaluation opérationnalisant la QVT comme une évaluation de l’apport de différents éléments (travail, organisation, relations au travail) à la construction d’une vie au travail convenable sera proposé prochainement.
Nous présenterons cette approche lors d'un séminaire RPS que nous organisons le 30,31 Mai à Aix-en-Provence. N'hésitez pas à vous inscrire.
Le premier consiste à distinguer les fondements culturels qui ont appuyé les deux types de réflexions. L’approche par les RPS est donc ancrée dans le rapport que les français ont au travail. L’approche par la QVT répond davantage à l’envie de construire une perception positive de la vie professionnelle : l’envie d’y exceller.
Le cadre réglementaire illustre bien cet état de fait en recherchant à pointer des obligations et des responsabilités au plan des conséquences plutôt que d’indiquer des voies de progrès et de développement des individus au travail.
Le deuxième constat renvoie à l’identification des conséquences prioritairement sanitaires dans l’approche par les RPS et celles à la fois sanitaires, comportementales et structurales dans l’approche par la QVT.
Le troisième constat renferme la différenciation entre des leviers d’action distincts. Si selon le cadre des RPS, l’enjeu est d’identifier les dysfonctionnements existants ou potentiels afin d’agir dessus, le dispositif de la QVT fait appel aux ressources qui résident soit dans l’élément en cause soit dans d’autres éléments du système.
Le quatrième constat est plutôt pessimiste en termes de clarté méthodologique quant à l’opérationnalisation problématique des deux construits. Face à ces observations, un modèle dynamique fondé sur l’interaction entre quatre éléments (travail, organisation, individu et ses relations au travail) placé dans un contexte socio-culturel et spatio-temporel est proposé. Sa spécificité consiste à supposer que chacun des éléments mentionnés peut être une source de dysfonctionnements ou une ressource rendant la vie au travail plaisante et agréable. Ainsi, une évolution fondamentale est introduite dans la prise en charge de la santé au travail en passant de la prévention à la promotion de celle-ci par une recherche de conditions favorables à sa construction.
La perspective de développement de ce modèle consisterait à préciser la façon dont l’organisation s’ajuste à une configuration contextuelle donnée et construit une QVT. De plus, un outil d’évaluation opérationnalisant la QVT comme une évaluation de l’apport de différents éléments (travail, organisation, relations au travail) à la construction d’une vie au travail convenable sera proposé prochainement.
Nous présenterons cette approche lors d'un séminaire RPS que nous organisons le 30,31 Mai à Aix-en-Provence. N'hésitez pas à vous inscrire.