Note de synthèse : Expertise comptable du CSE et droit d'alerte économique
I. Faits et procédure
Dans l’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, en date du 11 septembre 2024 (n° de pourvoi 23-12.500), le comité social et économique (CSE) de la société Crm92 et la société Diagoris, cabinet d'expertise-comptable, contestent la décision du tribunal judiciaire de Nanterre du 23 janvier 2023 qui a annulé la délibération du CSE de recourir à une expertise comptable dans le cadre de son droit d’alerte économique. Le CSE avait pris cette décision à la suite d'une dégradation de la situation économique de l’entreprise, mais l’employeur avait saisi le tribunal pour en contester la nécessité.
II. Problème juridique
Le problème juridique central dans cette affaire est de déterminer si l’employeur pouvait contester la décision du CSE de recourir à un expert-comptable dans le cadre du droit d’alerte économique, compte tenu du fait qu'une expertise comptable avait déjà été ordonnée deux mois auparavant dans le cadre de l'information-consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise.
III. Analyse des arguments
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Le droit d'alerte économique du CSE et la désignation d'un expert
L’article L. 2312-63 du Code du travail permet au CSE de déclencher un droit d’alerte économique lorsqu’il constate une dégradation préoccupante de la situation économique de l’entreprise. Dans ce cadre, le CSE peut désigner un expert-comptable afin de l’aider à analyser la situation de l’entreprise. Cette expertise est distincte des informations fournies par l’employeur lors des consultations annuelles obligatoires. -
Les limites du recours à l'expertise
L’employeur peut saisir le président du tribunal judiciaire, en procédure accélérée au fond, pour contester la nécessité de l’expertise, le choix de l’expert, ou encore le coût et la durée de l’expertise, comme le prévoit l’article L. 2315-86 du Code du travail. En revanche, l’employeur ne peut remettre en cause le bien-fondé du droit d’alerte économique en lui-même, qui relève de l’appréciation du CSE.
Dans cette affaire, l’employeur faisait valoir que le recours à une nouvelle expertise deux mois après une première expertise comptable n’était pas nécessaire, car le CSE disposait déjà des informations économiques pertinentes. De plus, il soutenait que le nombre d'expertises (14 en deux ans et demi) représentait une charge financière excessive pour l’entreprise.
- Caractère abusif de l'expertise
Le tribunal judiciaire avait jugé que l'expertise n'était pas nécessaire, considérant que le CSE était suffisamment informé par la précédente expertise, et que la fréquence des expertises commandées par le CSE pouvait être jugée abusive. Cette décision avait été maintenue par la Cour de cassation, qui a rejeté le pourvoi formé par le CSE et l’expert.
IV. Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du CSE et de la société Diagoris, confirmant que l’expertise commandée dans le cadre du droit d’alerte économique n’était pas nécessaire, puisque le CSE avait déjà obtenu une expertise comptable récente et suffisante. La Cour a estimé que le recours à l'expertise dans ces conditions, au vu de la répétition des demandes sur une courte période, avait un caractère abusif.
V. Enjeux pour les élus du CSE
Cette décision rappelle aux élus du CSE l’importance de bien évaluer la nécessité de recourir à une expertise comptable, notamment dans le cadre du droit d’alerte économique. Bien que cette procédure soit un outil clé pour le CSE, il est important d’en user avec modération, en tenant compte des informations déjà disponibles et des coûts potentiels pour l’entreprise.
Le recours abusif à des expertises peut affaiblir la position du CSE et entraîner des contestations judiciaires, comme dans cette affaire. Les élus doivent donc s'assurer que chaque demande d'expertise est justifiée par de nouvelles circonstances ou un manque d’informations cruciales pour exercer pleinement leurs prérogatives.
VI. Conclusion
La décision de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 met en lumière la nécessité pour les élus du CSE de bien maîtriser les conditions de recours à l’expertise comptable, notamment dans le cadre du droit d’alerte économique. Si ce droit reste un outil essentiel pour protéger les intérêts des salariés et veiller à la bonne santé économique de l’entreprise, il doit être exercé de manière raisonnée. Cette affaire souligne également l’importance d’un dialogue constructif avec l’employeur, afin d’éviter des litiges coûteux et de s’assurer que les informations fournies dans le cadre des consultations annuelles sont suffisantes pour remplir les obligations légales du CSE. Les élus du CSE sont donc encouragés à se former sur ces questions et à utiliser leur pouvoir avec discernement.