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Licenciements économiques : quels droits pour les salariés ?  08/08/2006


Nous sommes à quelques jours de l’ouverture, le 23 novembre, des débats à l’Assemblée nationale sur le projet Larcher, que le gouvernement a décidé d’inclure dans le projet de loi de cohésion sociale.
Il s’agirait, selon le dossier d’information du gouvernement au Sénat, « de renforcer la protection des salariés en cas de licenciement» . Il s’agirait d’ouvrir aux salariés licenciés des entreprises de moins de 1000 salariés un « droit au reclassement équivalent » à celui existant pour les salariés des entreprises de 1000 salariés et plus, affirmant même que ces salariés représenteraient 80% des licenciés économiques. Il s’agirait enfin « d’inciter les entreprises à traiter en amont les évolutions de l’emploi » et « d’améliorer le fonctionnement du comité d’entreprise ».
Alors de deux choses l’une, ou nous ne comprenons décidément rien, et nous comptons sur votre aide pour nous éclairer, ou nous sommes devant une tentative de mystification rarement atteinte et il faut que nous l’expliquions et la dénoncions ensemble, urgemment et fortement, à l’opinion publique et à ses représentants.
Dans les deux cas, notre débat est nécessaire. Permettez moi de penser que nous sommes plutôt dans la deuxième hypothèse. Et donc de vous faire part de l’analyse de notre organisation, avant de la comparer à vos expériences et à vos propres analyses.


1. Le projet de loi, tel qu’il est aujourd’hui, a, selon la CGT, deux défauts originels majeurs :

1) Il ignore totalement la différence réelle existant entre la situation des petites entreprises patrimoniales et celle des entreprises actionnariales, et parmi elles, celles du CAC 40.

2) Il part du principe que pour améliorer la situation de l’emploi, il faudrait encore accentuer la flexibilité de l’emploi, simplifier et accélérer les licenciements économiques, alors que seulement 13% des entrées au chômage proviennent de licenciements économiques, que 80% des licenciés économiques n’ont pas accès à des mesures de plan social, que la majorité des offres d’emploi sont des emplois à durée déterminée, et alors que les licenciements se font en quelques jours dans toutes les entreprises de moins de 50 salariés, qui représentent 97% du total des entreprises et 53% des salariés.


2. Le projet porte gravement atteinte au droit du travail existant :

1) Accords de méthode et disparition des droits des CE :

a) Nous sommes très critiques sur la généralisation annoncée des accords de méthode. Ce ne sont pas les salariés qui sont demandeurs de ces accords. Et on peut le comprendre. A partir du moment où, dès le départ, le volume des suppressions d’emplois et la date de la fin des procédures sont fixés, toute concertation sur le motif de la restructuration est inutile, toute recherche de solutions alternatives et donc d’un arrêt éventuel de la procédure, tout rapport d’expert, tout avis du CE, sont purement formels. Les moyens supplémentaires acceptés par les Directions pour ces « péripéties » ne sont alors qu’artifice.

b) La conception même de ces accords de méthode pose problème : Les accords de méthode étant par définition signés entre les (des) organisations syndicales et l’employeur, ils relèguent au second plan le Comité d’entreprise, principal organisme élu existant dans l’entreprise. Les accords peuvent lui dicter la majeure partie de ce qui est aujourd’hui octroyé par la loi et donc lui ôter toute autonomie de fonctionnement dans le domaine économique. Ce qui est pourtant une de ses prérogatives fondamentales. L’accord pourra dire de quoi discutera le CE, dans quel délai et avec quels moyens, y compris pour le contenu de plans de sauvegarde. Il n’est même plus précisé, à la différence de ce qui était inclus dans la loi du 3 janvier 2003, que la validité de ces accords est subordonnée à une consultation du comité d’entreprise. Et cette validité était déjà sans nécessité d’avis conforme.
Ces accords de méthode pourraient se conclure une fois tous les trois ans, alors que le CE est élu, lui, tous les deux ans. Avant même d’être élu, il aurait déjà son activité totalement ficelée… En quoi la démocratie sociale se trouve -t-elle renforcée par cette diminution sans précédent de l’autorité du Comité d’entreprise ?
Si on rajoute le fait que le projet persiste, malgré sa nouvelle écriture, à permettre au Président de commencer la procédure dès qu’il le souhaite, alors que les élus ne disposent pas d’une telle possibilité pour leurs propres demandes non fixées par les textes, on peut vraiment se demander à quoi peuvent encore servir les CE...

c) Par contre, là où il n’y a pas d’organisations syndicales, rien ne changera par rapport à aujourd’hui. Les procédures, qui étaient qualifiées de compliquées, perdureront. Où est la logique de simplification et d’amélioration de fonctionnement ?


2) Individualisation des procédures :

a) Le fait de permettre à l’ employeur, avant toute procédure collective officielle, de convoquer individuellement des salariés en vue d’une modification de contrat, voire d’un départ volontaire est lourd de pressions et de souffrances individuelles. S’il poursuit dans cette voie, le projet légitime tous les chantages à l’emploi que l’on a connus ces derniers mois.

b) Cette façon de procéder induit en plus une importante discrimination entre les salariés :
# Aucune transparence sur le choix des salariés convoqués individuellement
# Aucune transparence sur l’ordre des convocations.
# Aucune possibilité pour le salarié de se déterminer en connaissance de cause : il ne peut pas encore connaître les mesures du plan de sauvegarde éventuel, puisque celui-ci n’est pas encore ouvert.


Il y aura donc plusieurs « poids et mesures » dans la façon dont sera traité un salarié au sein d’une même entreprise. Ce qui va à l’encontre de l’égalité de traitement entre les citoyens, proclamé en France et en Europe.

c) Puisque seuls les salariés qui auront refusé une modification de leur contrat pourront être comptabilisés dans les « licenciements effectivement envisagés » et puisqu’il faudra au moins le refus de 10 salariés de voir modifier leur contrat pour que les dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économiques soient déclenchées, il y aura mathématiquement de moins en moins de plans et de mesures d’accompagnement collectives. Par exemple, il sera possible de licencier, sur 30 jours, 9 personnes « officiellement » et 9 personnes qui auront refusé une modification essentielle de leur contrat. Soit 18 personnes, au lieu de 9 aujourd’hui. Pourtant le Ministre s’était inquiété du fait que 80% des salariés licenciés pour motif économique partaient aujourd’hui sans plan de sauvegarde...


3. Le projet ne répond pas aux objectifs affichés d’amélioration de l’anticipation

Le texte présenté n’améliore en rien l’anticipation pour la quasi totalité des entreprises puisque l’ouverture de négociation sur ce sujet ne concerne que les entreprises d’au moins 300 salariés, alors que celles-ci ont déjà des systèmes d’information-consultation qu’il suffirait de faire mieux vivre. Et la négociation n’est que triennale et sans obligation de conclusion d’accord. Quand on sait, de plus, le peu de cas que font aujourd’hui les directions de grandes entreprises des informations prévisionnelles, quand on connaît également l’extrême variabilité des stratégies dans ces entreprises (cf . Snecma/Sagem, Alstom,...), on ne peut que s’interroger sur le caractère laconique de la mesure. A moins qu’il n’y ait là aussi volonté de faire du dérogatoire qui vise à saper les quelques droits actuels.


4. Le dispositif dit de convention de reclassement personnalisé (CRP) pour les salariés des petites entreprises, est très loin d’un droit au reclassement et encore plus d’une obligation réelle de reclassement:
Parler d’un vrai système de reclassement pour tous est intéressant, mais dans l’état actuel des choses, la convention de reclassement personnalisée prévue dans le projet n’améliore en rien les systèmes existants, le PARE anticipé et les congés de conversion (sans parler évidemment des congés de reclassement des entreprises de plus de 1000 salariés). Le doublement du Droit Individuel à la Formation (soit en tout 40 h annuels) est largement inférieur à ce qui se pratique dans l’un ou l’autre des systèmes. Pire, l’instauration de ce dispositif risque en plus de conduire à faire disparaître les congés de conversion, qui eux sont une mesure de plan social , permettent aux salariés de rester dans l’entreprise de 4 à 10 mois hors durée d’indemnisation Assedic à venir.
Il y a au moins nécessité d’améliorer l’existant pour parler d’un renouveau du« droit au reclassement »!


5. Rien n’est fait de concret pour améliorer la vie au travail des salariés des petites entreprises ni pour améliorer la visibilité des petites entreprises elles-mêmes. Ce qui était pourtant l’objectif de départ présenté par le gouvernement :

# Rien dans le texte n’améliore « l’anticipation, la formation, l’information » dans les PME. Même la gestion prévisionnelle des emplois est limitée aux entreprises d’au moins 300 salariés. On ne parle que de la situation de ces salariés après leur licenciement.
# Rien n’est fait sur la construction d’outils « pour les sous-traitants et fournisseurs qui subissent en cascade les conséquences des restructurations chez leurs donneurs d’ordres » (JLBorloo, 13 septembre, Les Echos).
# En cas de restructuration, s’il n’y a pas de représentants du personnel, il n’y a aucune procédure : le salarié continue d’être licencié entre 4 et 12 jours après son entretien individuel. S’il y a des représentants du personnel, mais moins de 10 suppressions d’emplois, il continue d’y avoir une réunion de « consultation » du CE (s’il y en a un) en plus de l’entretien préalable et un envoi de la lettre de licenciement dans les 7 à 15 jours. Tant que l’entreprise n’a pas 50 salariés, il n’y a toujours pas de mesure d’accompagnement social liée à un « plan de sauvegarde de l’emploi ».


6. Les relations avec les territoires restent à définir :

# L’idée d’un travail commun entre acteurs territoriaux mériterait d’être développée, au lieu d’être cantonnée à une simple « consultation » au cas où l’Etat décide d’intervenir.
# Les conventions contribuant à la reconversion des territoires après fermeture d’entreprise, que l’on pouvait retrouver dans le projet de décret remplaçant l’article 118, pouvant être abandonnées et remplacées par des contributions financières, il est à craindre que le choix des grandes entreprises se porte sur un versement forfaitaire tandis que les petites entreprises, plus démunies, auront du mal à s’impliquer dans une convention.
# Sur quels critères sera-t-il conclu que les licenciements effectués « affectent l’équilibre du bassin d’emploi » ? Sur quels critères le Préfet (ou autre autorité publique) décidera-t-il d’intervenir ? Sur quels critères les modalités, les niveaux de contributions seront-ils décidés ?



7. Recours pour non respect des procédures ou des mesures prévues au plan de sauvegarde :

Le rétrécissement extrême des procédures ne peut qu’encourager chacun à s’en prémunir dès la première réunion, en particulier dans les petites entreprises. Ce qui n’aidera pas à en raccourcir le nombre.
Fixer le délai de recours sur le fond à un an peut entraîner, pour les salariés licenciés une incapacité à faire valoir leurs droits. Le Législateur veut-il éviter ce qui vient de se passer chez Cellatex, Wolber ou Alcatel ? Il nous semble important que les délais de recours courent au moins tant que des mesures de PSE ne sont pas menées à leur terme.


Conclusion :
Voilà les quelques éléments, évidemment non exhaustifs, que je souhaitais donner en introduction à notre débat et échange d’expériences. Il faudrait aussi évoquer les offres publiques d’achat qui sortent du champ normal de la consultation, mettant à nouveau légalement les salariés devant le fait accompli, ou la définition du licenciement économique qui persiste à ignorer la perte d’emploi consécutive à la cessation d’activité de l’entreprise, alors qu’un consensus avait été trouvé sur ce sujet lors des négociations. Etc. Nous ne pensons pas que ce soit le rôle du gouvernement de la République ni celui des législateurs de se transformer en outil de 2ème chance du MEDEF pour faire passer des mesures à la fois destructrices des droits des salariés et incapables de résoudre positivement le problème de l’emploi dans notre pays.
Nous pensons que les cinq axes de propositions que nous avons développés dans nos récents écrits et qui se veulent un pas en avant vers les objectifs exposés ce matin, de même que les propositions concrètes, immédiates de modification du texte que nous avons apportées lors de l’audition à l’assemblée nationale la semaine dernière, pourraient être une base –parmi d’autres- de discussion sérieuse.

Tout a été fait pour rendre invisibles et anodins ces quelques articles de loi « rectificatifs » qui ne sont pas un simple « coup de canif » dans les droits et garanties des salariés. Ils en sont une remise en cause profonde. Nous pensons qu’il faut faire éclater cette vérité, éclairer ceux qui ont pu être abusés, faire se lever aussi ceux qui pensent que « de toute façon, on n’y peut rien ».

Le délai est court, mais le sujet est d’importance. A vous tous la parole.

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