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Rapport au travail : les Français dans l'attente d'un nouveau "contrat social"

Jeudi 16 Mars 2023

Si le rapport au travail s’est détérioré en France, c’est parce qu’il n’épouse pas les mutations sociétales, selon une conférence organisée par la Chaire transitions démographiques et transitions économiques. D’où l’idée de revoir le "contrat social" entre employeur et salariés. Avec à la clef, plus d’autonomie, de flexibilité, de reconnaissance et moins de hiérarchie.


Rapport au travail : les Français dans l'attente d'un nouveau "contrat social"
Rapport au travail : les Français dans l'attente d'un nouveau "contrat social"
 

Y a-t-il un divorce entre les Français et le travail ? Une telle séparation peut-elle expliquer les difficultés économiques et sociales françaises ? La Chaire transitions démographiques et transitions économiques (TDTE), de l'Institut Louis Bachelier, fondé en 2008, à l’initiative de Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, a tenté, au cours d’une conférence (*), qui s’est déroulé jeudi, de décortiquer le rapport ambivalent des Français au travail, à rebours des idées reçues.

Le travail n’occupe plus une place structurante dans la vie des Français.

Depuis la crise sanitaire, la notion de travail a été malmenée. Au point où un risque de grande démission, en référence au "big quiet" américain, a même été évoqué en France. Une étude de l’Ifop et la Fondation Jean Jaurès, en novembre dernier, "Grosse fatigue et épidémie de la flemme", le confirme : le travail n’occupe plus une place structurante dans la vie des Français. En 1990, 60 % des Français considéraient spontanément le travail comme très important. Ils n’étaient plus que 24 % à le penser en 2021, le rétrogradant à la quatrième place des priorités, derrière la famille, les loisirs et les relations sociales. "Plus rien ne sera jamais comme avant", avait alors conclu Romain Bendavid, directeur de l'expertise Corporate et work experience de l'institut de sondage.

Vers une "épidémie de la flemme" ?

Ce basculement signifie-t-il que les Français sont "paresseux" ? Si ce système de valeurs a basculé, les intervenants de cette conférence sont unanimes : il n’existe pas d’"épidémie de la flemme".

"C’est une énorme erreur de considérer les gens comme des flemmards, de dire qu’ils ne veulent plus travailler, a insisté Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH et DRH France de L’Oréal. Nous n’avons jamais eu de potentialités aussi fortes".

"Nous passons d’un modèle dans lequel le travail occupe le centre et détermine la place des autres interactions sociales, à un modèle plus équilibré et plus sain, dans lequel chacun d’entre nous cherche sa place et exprime au mieux ses convictions et ses valeurs, a attesté, pour sa part, Martin Richer, responsable du pôle entreprises de Terra Nova. Mais fondamentalement, la place du travail reste très importante en France. Notamment chez les jeunes".

D’ailleurs Jean-Olivier Hairault, directeur de Paris School of Economics, a réfuté l’idée de "grande démission" en rappelant, à l’instar de la Dares, que les démissions étaient surtout corrélées à la conjoncture économique. "Environ huit démissionnaires de CDI sur dix au second semestre 2021 sont en emploi dans les six mois qui suivent, principalement sur un poste du même type".

Pour Dominique Carlac’h, vice-présidente du Medef et candidate à la succession de Geoffroy Roux de Bézieux, en juillet prochain, "les symboles de réussite des 30 glorieuses voire des années 90 ne fonctionnent plus, non seulement pour les nouvelles générations, mais pour beaucoup de générations". "Malgré une forte satisfaction au travail, les aspirations pour le temps libre ont augmenté, la volonté de socialisation au bureau est restée. En revanche, on constate une baisse de motivation pour l’encadrement", ajoute-elle.

"Un contrat social dégradé"

Plusieurs causes peuvent expliquer ce basculement de valeurs. À commencer par le télétravail mis en place à marche forcée durant la pandémie. "Il a créé une distanciation au sens propre entre le salarié et son travail mais aussi entre ce dernier et l’entreprise", a indiqué Dominique Carlac’h.

Ce qui a entraîné une montée des exigences individuelles en matière de conditions de travail, de souplesse d'organisation et de sens au travail mais aussi d’attentes en faveur d’un travail porteur de sens et reconnu.

"Les salariés veulent choisir quand ils travaillent, comment ils travaillent et où ils travaillent", assure Dominique Carlac’h. "Ils se sentent les plus aptes à déterminer leur propre organisation du travail", a confirmé Benoît Serre. Ils veulent également des feed-back sur leur travail : "En quoi suis-je utile ? En quoi mon entreprise est-elle utile ?".

Des entreprises "hyper hiérarchisées"

Benoît Serre a dénoncé, de son côté, "l’hyper hiérarchisation des entreprises qui exaspère les salariés". "C’est un phénomène qui a été supporté et subi pendant des années à l’occasion du chômage de masse mais qui ne passe plus aujourd’hui". D’une part, parce que "les gens veulent déterminer leur propre organisation du travail", sans directives venant du haut. D’autre part, parce que "cette hiérarchisation excessive a conduit à découper les tâches et entraîné une perte de sens".

D’autant que la pyramide hiérarchique reflète la pyramide des rémunérations, au détriment des fonctions d’expertise "fondamentales" et davantage laissées pour compte dans l’entreprise.

Surtout, les relations entre employeur et salarié ne sont pas au beau fixe : "Dans les enquêtes que nous avons menées on constate que les salariés ont le sentiment d’être perdants entre la promesse de l’employeur (prise de responsabilités, évolution de carrière, de salaire… ) et la réalité", témoigne Dominique Carlac’h. Avec à la clef le sentiment un "contrat social dégradé"

Un code du travail inadapté ?

Comment, dans ce contexte, inverser la tendance ? Afin de "réenchanter le travail", Dominique Carlac’h plaide pour un nouveau contrat social, économique et environnemental : "L’entreprise doit être un lieu d'apprentissage, de reconnaissance et d'engagement. Elle est la solution dès lors qu’elle épanouit les parcours de vie professionnelle des salariés".

La chaire TDTE met, elle, en avant l'importance de la qualité de vie au travail, des perspectives de carrière, de la rémunération et de la reconnaissance du travail accompli. Pour y parvenir, Benoît Serre compte s’appuyer, sur le dialogue social : "C’est avec les partenaires sociaux que l’on crée les choses".

Même si pour le vice-président de l’ANDRH, cette évolution du travail aurait pu être l’occasion de faire bouger le code du travail. "J’ai essuyé un refus. Mais c’est une erreur. Car demain nous aurons finalement un code du travail fondé sur la jurisprudence". Autrement dit, une "organisation légale et réglementaire" instable, en décalage avec les mutations sociétales.

 

(*) Conférence "Les Français et le travail : le divorce ?".

Pierre DESMONT
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