Arrêt n° 714 du 9 mai 2018 (17-14.088) P+B+R+I
Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la marge de liberté laissée aux organisations syndicales dans la constitution de leurs listes de candidats aux élections professionnelles à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, de la loi n°2015-994 du 17 août 2015.
Cette loi fait en effet désormais obligation aux organisations syndicales de faire figurer sur leurs listes de candidats un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la proportion de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale, les listes devant en outre être composées alternativement d’un candidat de chaque sexe, afin de garantir la présentation de candidats du sexe sous-représenté en position éligible. Cette obligation figurait aux articles L.2314-24-1, pour l’élection des délégués du personnel, et à l’article L.2324-22-1, pour l’élection des représentants du personnel au comité d’entreprise, et a été reprise par l’article L.2314-30 du code du travail, issu de l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017, pour l’élection des membres du comité social et économique.
Dans l’affaire soumise à la Haute juridiction, un syndicat avait déposé en vue des élections professionnelles une liste ne comportant qu’un seul candidat titulaire de sexe masculin au sein du collège “cadres”, deux sièges étant à pourvoir et la liste électorale au sein de ce collège étant composée de 77 % de femmes et de 23 % d’hommes.
L’employeur avait saisi le tribunal d’instance afin d’obtenir l’annulation de l’élection de ce candidat et le tribunal avait rejeté cette demande en se fondant sur une interprétation littérale des nouvelles dispositions légales aux termes desquelles “Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l’article L.2314-24 qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale.” Ainsi, pour le tribunal, l’obligation pour les listes d’être représentatives du nombre de femmes et d’hommes au sein d’un collège ne s’appliquait qu’aux listes comportant plusieurs candidats.
Or, selon l’exposé des motifs du projet de loi, “L’article 5 vise à améliorer la représentation équilibrée des femmes et hommes dans les institutions représentatives du personnel. Il introduit l’obligation pour les listes aux élections professionnelles de comporter une proportion de femmes et d’hommes qui reflète leur proportion respective dans les collèges électoraux. Le non-respect de cette obligation entraîne l’annulation de l’élection du ou des candidats du sexe sur-représenté au regard de la composition sexuée que devait respecter la liste électorale.”
L’interprétation à la lettre des nouvelles dispositions apparaissait ainsi très éloignée non seulement de l’objectif visé, mais également des moyens mis en oeuvre, puisque le législateur est allé jusqu’à empêcher la présentation de candidats du sexe sous-représenté en position inéligible au moyen de la règle de l’alternance. L’interprétation retenue par le tribunal pouvait, en outre, apparaître comme un moyen de contourner les obligations résultant de la loi n°2015-994 du 17 août 2015.
La chambre sociale n’a pas validé cette analyse des nouvelles dispositions légales retenue par le tribunal d’instance, dont la décision est censurée. Restait à la haute Cour à préciser les nouvelles conditions de validité des listes de candidats.
Ainsi, la chambre sociale aurait pu considérer que le premier alinéa des articles L.2314-24-1 et L.2324-22-1 ne renvoyant qu’au constat selon lequel, par hypothèse, la mixité ne peut s’appliquer qu’aux listes comportant plusieurs candidats, seule l’obligation pour la “liste” d’être représentative de la composition du corps électoral demeurait, y compris en cas de candidature unique. Autrement dit, le syndicat en question aurait pu présenter une “liste” comportant une unique candidature, à condition qu’il s’agisse en l’occurrence d’une femme. Une telle solution aurait présenté l’avantage de limiter l’atteinte au principe de la liberté de choix par les syndicats de leurs candidats constamment rappelé par la chambre sociale (Soc. 19 mars 1986, n°85-60.439, Bull n°101 ; Soc. 16 novembre 1993, n°92-60.306, Bull n°275), qui a par ailleurs toujours admis la validité des candidatures uniques y compris lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir au sein d’une instance collégiale et que cette admission des candidatures uniques aboutit à ce qu’un seul représentant soit élu au comité d’entreprise (Soc. 17 décembre 1986, n°86-60.278, Bull n°608). Mais une telle solution ne risquait-elle pas de faire obstacle à l’objectif de mixité voulu par le législateur, en particulier dans les entreprises et les secteurs professionnels dans lesquels les femmes sont minoritaires ?