L'absence d'autorisation de l'employeur vaut accord tacite
L'absence d'autorisation préalable à l'accomplissement d'heures supplémentaires n'exclut pas un accord tacite de l'employeur : ainsi, l'employeur qui ne s'oppose pas aux heures supplémentaires dont il a connaissance consent à leur réalisation.
S'il est admis qu'en droit « qui ne dit mot ne consent pas », la chambre sociale de la Cour de Cassation n'en considère pas moins qu'un salarié peut poursuivre la rémunération des heures supplémentaires accomplies avec le seul accord implicite de son employeur.
S'inscrivant dans la droite ligne de cette jurisprudence, l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 2 juin 2010 estime que même en l'absence d'autorisation préalable, l'employeur sera réputé avoir donné son accord tacite à l'accomplissement d'heures supplémentaires lorsqu'il n'exprime pas son opposition.
1- Les faits
Le paiement des heures supplémentaires était soumis à une procédure interne à l'entreprise. Aux termes de cette procédure, l'employeur devait donner son accord préalable à la réalisation d'heures supplémentaires, accord donné sur demande du responsable de service.
Un salarié avait accompli des heures supplémentaires sans respecter cette procédure et en réclamait néanmoins le paiement, estimant que par le système de badgeuse, son employeur avait eu connaissance des heures effectuées et avait donc nécessairement donné son accord.
Pour sa part, s'il ne niait pas l'existence de ces heures, l'employeur contestait en revanche y avoir donné son accord, arguant du fait que le salarié avait choisi « pour des raisons de pure convenance personnelle » d'arriver au bureau tôt le matin et d'en repartir tard le soir.
Les juges du fond, s'appuyant sur la procédure interne existant dans l'entreprise, déboutent le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires.
La Cour de Cassation censure l'arrêt d'appel : un accord tacite de l'employeur pouvait être identifié même en l'absence d'autorisation préalable.
2- La solution
La position adoptée par la chambre sociale dans cet arrêt du 2 juin 2010 n'est pas nouvelle. En de précédentes occasions, la Cour de Cassation s'était déjà prononcée dans le sens d'un accord tacite de l'employeur, lorsque le salarié accomplit de manière régulière et pendant une longue période des heures supplémentaires, au vu et au su de son employeur, sans que ce dernier ne s'y oppose (Cass. Soc. 19 juin 1974, n° 73-40.670 ; 31 mars 1998, n° 96-41.878).
L'analyse de la solution retenue permet de dresser les trois constats suivants :
- l'employeur ne peut plus se réfugier derrière son pouvoir de direction pour échapper à la demande en paiement d'heures supplémentaires,
- ce n'est pas au salarié de prouver l'accord de son employeur, mais c'est à ce dernier de prouver qu'il a refusé l'accomplissement des heures supplémentaires,
- pour faire échec à la demande en paiement du salarié, l'employeur doit démontrer qu'il a mis en oeuvre son pouvoir disciplinaire.
- L'argument du pouvoir de direction : un mode de défense inadapté
En principe, le recours aux heures supplémentaires relève de la seule initiative de l'employeur, lequel peut au titre de son pouvoir de direction imposer l'accomplissement de telles heures à un salarié sans qu'il s'agisse d'une modification de son contrat de travail.
Dans cette logique, seules les heures supplémentaires demandées par l'employeur devraient donner lieu à la rémunération.
Si la chambre sociale rappelle à l'occasion ce principe (voir ainsi Cass. Soc. 24 février 2004, n° 01-46.190), elle y apporte dans l'arrêt commenté une atténuation notable, dont on peut relever deux manifestations.
- L'initiative des heures supplémentaires peut être prise par le salarié
En se contentant d'un accord tacite de l'employeur, la Cour de Cassation admet nécessairement qu'un salarié puisse prendre l'initiative de recourir aux heures supplémentaires.
Pour ouvrir droit à rémunération, les heures supplémentaires n'ont donc plus à être demandées expressément : le recours à la notion d'accord tacite implique que l'employeur, subissant l'initiative de son salarié, peut être réputé avoir accepté des heures qu'il n'avait pas sollicitées préalablement.
Cette solution affaiblit le pouvoir de direction de l'employeur, lequel n'a plus le monopole de l'initiative des heures supplémentaires.
- L'encadrement par le règlement intérieur des heures supplémentaires est insuffisant
En l'espèce, l'employeur espérait pouvoir faire échec à la demande en paiement présentée par le salarié en invoquant que la procédure d'autorisation préalable fixée par le règlement intérieur n'avait pas été respectée.
L'échec de cette stratégie de défense démontre que l'employeur ne peut plus se contenter d'invoquer son pouvoir de direction (dont le règlement intérieur constitue la manifestation) pour échapper au paiement d'heures supplémentaires.
Peu importe que l'employeur ait a priori adopté une certaine position vis-à-vis des heures supplémentaires : son absence d'accord tacite ne pourra se déduire que du comportement qu'il adopte a posteriori, une fois confronté aux heures supplémentaires, c'est-à-dire de son opposition expresse.
- L'employeur doit prouver son refus des heures supplémentaires
Il ressort de l'analyse de la solution adoptée par la Cour qu'elle impose aux parties un travail probatoire en deux étapes, la seconde étape incombant totalement à l'employeur.
Dans un premier temps, il appartient à l'employeur de justifier des heures accomplies par le salarié. La preuve qui lui incombe à ce titre est partagée avec le salarié, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournies par les deux parties (article L. 3171-4 alinéa 2 du Code du travail).
Dans un second temps, s'il apparaît que des heures supplémentaires ont été effectuées et que l'employeur en avait connaissance, il lui incombe de démontrer qu'il ne les a pas acceptées.
C'est ainsi sur l'employeur, et non sur le salarié qui prolonge son horaire de travail, que pèse la charge de la preuve : il incombe à l'employeur de prouver qu'il a opposé un refus exprès à l'accomplissement des heures supplémentaires.
L'employeur ne peut donc espérer alléger son travail probatoire en invoquant que le salarié ne rapporte pas la preuve de son accord (voir pour un raisonnement identique : Cass. Soc. 31 mars 1998, n° 96-41.878).
- L'opposition de l'employeur doit prendre la forme d'un exercice du pouvoir disciplinaire
Si le défaut de respect de la procédure interne à l'entreprise ne permettait pas à l'employeur de considérer que le paiement des heures supplémentaires n'était pas dû, il l'autorisait à user de son pouvoir disciplinaire.
Pour ne pas succomber en justice, l'employeur est donc invité par cet arrêt du 2 juin 2010 à justifier de l'utilisation qu'il a faite de son pouvoir de sanction afin de manifester son opposition.
- Quand l'employeur doit-il manifester son opposition?
En tout état de cause, l'employeur ne doit pas attendre que les heures supplémentaires prennent un caractère régulier ou habituel, faute de quoi son accord tacite sera caractérisé.
- Sous quelle forme manifester une telle opposition?
La référence au pouvoir disciplinaire de l'employeur implique que ce dernier peut soit prononcer à l'encontre du salarié une sanction effective, soit le mettre en demeure à peine de sanction de cesser d'effectuer des heures supplémentaires.
Une telle mise en demeure permet à l'employeur de se préconstituer une preuve efficace de son opposition aux heures supplémentaires accomplies dans son autorisation : on rappelera utilement ici que la Cour de Cassation considère que le salarié qui s'abstient de déférer à l'ordre reçu de son employeur de cesser d'effectuer des heures dépassant la durée de son travail hebdomadaire, ne peut prétendre en obtenir le paiement (Cass. Soc. 17 février 2010, n° 08-42712).