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Clause de neutralité : le règlement intérieur peut prévoir une interdiction de tout signe politique, religieux...

Mardi 29 Septembre 2020

Une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.
Arrêt n° 715 du 8 juillet 2020 (18-23.743) - Cour de cassation - Chambre sociale


Faits et procédure

 

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 27 septembre 2018), engagé le 14 novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par la société Risk & Co, qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales non gouvernementales ou entreprises privées, M. X... a été licencié pour faute grave le 13 août 2013.

2. Soutenant avoir été licencié pour un motif discriminatoire en ce qu’il lui était reproché le port de la barbe, le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 26 novembre 2013 de demandes tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de diverses sommes indemnitaires.


Examen du moyen

3. L’employeur fait grief à l’arrêt de prononcer la nullité du licenciement du salarié, d’ordonner sa réintégration dans le délai de trente jours suivant la notification de l’arrêt et de condamner la société Risk & Co à lui payer certaines sommes à titre de provision à valoir sur son préjudice et de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, alors :

« 1°/ que si l’employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n’entrent pas dans le cadre du contrat de travail et le salarié doit exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été embauché ; que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse du salarié, l’injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l’information, de l’analyse et de la gestion des risques de toute nature, dans des environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, affecté à des missions dans des zones à risques, d’adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il doit se rendre ; qu’une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l’injonction de revenir à un port de barde exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission, dans le pays dans lequel elle doit être exécutée ; que l’article 13 du contrat de travail de M. X..., embauché en qualité de consultant sûreté avec une prise de fonctions au Yémen, stipulait que "dans l’exercice de ses fonctions, M. X... obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu’aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra" ; qu’à cet égard, la société Risk & Co avait fait valoir que M. X..., embauché en tenant compte de ce qu’il se présentait comme spécialiste du Proche et Moyen-Orient, avait affiché sa préférence pour une affectation dans un pays de culture arabo-musulmane ; qu’en ne vérifiant pas si le refus du salarié de revenir à une barbe d’apparence plus neutre et comparable à celle qu’il portait au moment de son embauche, afin notamment de lui confier une mission de sécurité au Yémen ou dans les pays en adéquation avec son affectation préférentielle et ses compétences, ne constituait pas une méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse d’un salarié, mais une simple restriction légitime, proportionnée et objectivement justifiée, l’injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l’information, de l’analyse et de la gestion des risques de toute nature, inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, amené à exécuter ses missions dans des zones à risques, d’adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il est affecté ; qu’une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l’injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission ; que compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l’apparence de la barbe portée par le salarié, afin qu’elle reflète une neutralité, est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but poursuivi, ladite restriction répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l’objectif de la restriction étant légitime ; qu’en énonçant que le licenciement reposait pour partie sur des motifs pris de ce que l’employeur considère comme l’expression par M. X... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, sans rechercher si la fonction occupée par le salarié, en qualité de consultant de sécurité destiné à être affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, n’imposait pas la restriction litigieuse, au regard de la nécessité de tenir compte du sens attribué à l’apparence de la barbe dans lesdites zones, l’employeur ne pouvant prendre le risque d’envoyer au Yémen un salarié dont l’apparence pouvait justifier une stigmatisation et mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu’il devait accompagner, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1131-1 du code du travail ;

3°/ que la société Risk & Co, avait versé aux débats le témoignage d’un ancien consultant en sécurité qui avait précisé : "J’ai observé que les militaires avec lesquels on travaillait étaient particulièrement inquiets et sur leur garde. Un comportement ou une apparence inappropriés s’apparentant à celles de groupes terroristes aurait même pu nous mettre sérieusement en danger" ; qu’en ne s’expliquant pas sur cette attestation, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que la légitimité d’une restriction apportée à la liberté religieuse d’un salarié, en l’état du droit applicable antérieur à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 n’était pas subordonnée à l’existence d’une note de service ou d’un règlement intérieur ; que l’absence d’un tel support a pour seule conséquence d’imposer un examen de la restriction alléguée en relevant l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; qu’en se fondant sur le fait que l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer en raison des impératifs de sécurité qu’il invoque, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et violé les articles 1321-1, L. 1321-2-1 et L. 1321-5 du code du travail. »


Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Au termes de l’article L. 1321-3, 2° du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

5. L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

6. Ayant relevé que l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.

7. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d’«  exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

8. Dès lors, la cour d’appel a exactement retenu que si les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4 § 1 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.

9. Ayant relevé que si l’employeur considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés, la cour d’appel a constaté, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s’expliquer sur ceux qu’elle décidait d’écarter, que l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.

10. La cour d’appel en a déduit à bon droit, sans encourir le grief de la quatrième branche du moyen qui manque en fait, que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l’employeur considérait comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l’article L. 1132-4 du code du travail.

11. Le moyen n’est donc pas fondé.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;
Président : M. Cathala
Rapporteur : Mme Sommé
Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié - SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel 


Mission CSE :

Le règlement intérieur est un document écrit, rédigé par l'employeur en français (il peut au besoin être accompagné de traductions dans d'autres langues).
Les dispositions du règlement intérieur doivent être conformes aux dispositions des lois, règlements et conventions collectives applicables.
Le règlement intérieur doit contenir les dispositions suivantes :
  • Mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement (interdiction de fumer dans les locaux par exemple)
  • Conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises (port d'un masque en cas d'épidémie par exemple)
  • Règles générales et permanentes relatives à la discipline (respect des horaires de travail, justification des absences par exemple) ainsi que la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur (avertissement, durée de la mise à pied disciplinaire par exemple)
  • Dispositions relatives au respect des procédures disciplinaires (convocation à entretien préalable par exemple) pour le salarié si l'employeur envisage une sanction
  • Dispositions relatives aux droits de la défense des salariés (assistance du salarié lors d'une procédure disciplinaire par exemple)
  • Dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes
La sanction prononcée contre un salarié doit être prévue par le règlement intérieur (par exemple, nature et durée de la sanction).
Les dispositions du règlement ne peuvent pas entraîner de discrimination ou d'inégalité entre salariés.
Le projet de l'employeur doit être soumis pour avis au comité social et économique (CSE).
Le projet de l'employeur et l'avis des représentants du personnel doivent être transmis à l'inspecteur du travail.

N'hésitez pas à faire analyser votre document par un professionnel avant d'émettre un avis. Le présent arrêt de la Cour de cassation démontre que cet exercice  de droit pour le CSE doit être accompagné par une prestation d'expertise libre.
Pierre DESMONT
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