Annulation pour excès de pouvoir de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020
L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français à compter du début de l'année 2020 ont conduit les pouvoirs publics à prendre diverses mesures de lutte contre l'épidémie. Par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, le Premier ministre a interdit, à compter du lendemain midi, le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. L'article 11 de la même loi a autorisé le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, diverses mesures relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de l'épidémie.
Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19 puis l'ordonnance du 2 mai 2020 adaptant temporairement les délais applicables pour la consultation et l'information du comité social et économique afin de faire face à l'épidémie de covid-19. En vue de favoriser une reprise rapide de l'activité économique tout en préservant la santé et la sécurité des salariés, l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 mai 2020, prévoit à titre temporaire un raccourcissement des délais légaux ou conventionnels de communication aux membres du comité social et économique de l'ordre du jour des séances consacrées aux décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19, à l'exception de celles relatives aux procédures de licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours ou aux accords de performance collective. Ce même article renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de définir, à titre temporaire, pour les mêmes décisions de l'employeur et le cas échéant par dérogation aux délais conventionnels, les délais qui régissent la consultation et l'information du comité social et économique ainsi que les éventuelles expertises susceptibles d'être ordonnées. Sur ce fondement, le décret du 2 mai 2020 adapte temporairement les délais relatifs à la consultation et l'information du comité social et économique et aux modalités des expertises afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19. Son article 3 prévoit que ses dispositions sont applicables aux délais qui commencent à courir entre la date de sa publication au Journal officiel de la République française, soit le 3 mai 2020, et le 23 août 2020.
Par la requête enregistrée sous le n° 441218, l'Union syndicale Solidaires et le Syndicat des avocats de France demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 dans sa version issue de l'ordonnance du 2 mai 2020. Par les requêtes n° 441031 et n° 441221, la Confédération générale du travail-Force ouvrière, d'une part, et l'Union syndicale Solidaires et le Syndicat des avocats de France, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 mai 2020. Ces trois requêtes présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur la recevabilité des requêtes n°s 441218 et 441221 en tant qu'elles émanent du Syndicat des avocats de France :
Le Syndicat des avocats de France, qui est au nombre des organisations syndicales et professionnelles signataires de la convention collective nationale des cabinets d'avocats du 17 février 1995 et de la convention collective nationale des avocats et de leur personnel du 20 février 1979, dans le champ desquelles un comité social et économique doit être institué dans chaque entreprise de plus de onze salariés, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'ordonnance et le décret attaqués. Dès lors, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'est pas fondée à soutenir que les requêtes n°s441218 et 441221 sont irrecevables en tant qu'elles émanent de cette organisation.
Sur la recevabilité des requêtes n°s 441218 et 441221 en tant qu'elles émanent du Syndicat des avocats de France :
Le Syndicat des avocats de France, qui est au nombre des organisations syndicales et professionnelles signataires de la convention collective nationale des cabinets d'avocats du 17 février 1995 et de la convention collective nationale des avocats et de leur personnel du 20 février 1979, dans le champ desquelles un comité social et économique doit être institué dans chaque entreprise de plus de onze salariés, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'ordonnance et le décret attaqués. Dès lors, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'est pas fondée à soutenir que les requêtes n°s441218 et 441221 sont irrecevables en tant qu'elles émanent de cette organisation.
Sur les conclusions dirigées contre l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 :
D'une part, l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose, à son I, que, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, des mesures relevant du domaine de la loi qu'il énumère. Il s'agit notamment, ainsi qu'il résulte du b) du 1° du I de cet article, de mesures prises "afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure (...) en matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet (...) de modifier les modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d'émettre les avis requis dans les délais impartis, et de suspendre les processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours (...) ". Il s'agit également de mesures, comme le prévoit le b) du 2° du I de cet article, prises "afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure (...) adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. (...) ".
D'autre part, aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 modifié, prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 : " I. Par dérogation aux articles mentionnés aux 1° et 2° du présent I ainsi que, le cas échéant, aux stipulations conventionnelles en vigueur, les délais, exprimés en jours calendaires, applicables lorsque l'information ou la consultation du comité social et économique et du comité social et économique central porte sur les décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 sont fixés ainsi qu'il suit : / 1° Le délai mentionné à l'article L. 2315-30 du code du travail est fixé à deux jours au moins avant la réunion ; / 2° Le délai mentionné à l'article L. 2316-17 du même code est fixé à trois jours au moins avant la réunion. / II. -Un décret en Conseil d'Etat définit, le cas échéant, par dérogation aux stipulations conventionnelles applicables, les délais relatifs : / 1° A la consultation et à l'information du comité social et économique sur les décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 ; / 2° Au déroulement des expertises réalisées à la demande du comité social et économique lorsqu'il a été consulté ou informé dans le cas prévu au 1°. / III. -Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux informations et consultations menées dans le cadre de l'une ou l'autre des procédures suivantes : / 1° Un licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, dans les conditions prévues à la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail ; / 2° Un accord de performance collective mentionné à l'article L. 2254-2 du même code. / IV. - Les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée ne s'appliquent pas aux délais mentionnés au présent article. / V. -Les dispositions du présent article sont applicables aux délais qui commencent à courir avant une date fixée par décret et, au plus tard, avant le 31 décembre 2020. / Pour les délais définis au I, les dispositions du présent article s'appliquent aux délais qui commencent à courir à compter de la publication de la présente ordonnance. / Pour les délais définis au II, les dispositions du présent article s'appliquent aux délais qui commencent à courir à compter de la date de publication du décret en Conseil d'Etat mentionné au même II. Toutefois, lorsque les délais qui ont commencé à courir antérieurement à cette date ne sont pas encore échus, l'employeur a la faculté d'interrompre la procédure en cours et d'engager, à compter de cette même date, une nouvelle procédure de consultation conformément aux règles prévues par la présente ordonnance ".
En principe, les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques résultent, s'agissant du délai d'envoi de l'ordre du jour, des articles L. 2315-30 et L. 2316-17 du code du travail, s'agissant des autres délais, d'un des accords collectifs mentionnés à l'article L. 2312-16 du code du travail et, à défaut, de dispositions réglementaires. En outre, le délai maximal dans lequel, dans le cadre de ces procédures d'information et de consultation, l'expert remet son rapport a vocation à être fixé par l'un des accords collectifs mentionnés à l'article L. 2315-85 du code du travail et à défaut, par voie de décret en Conseil d'Etat, lequel est également habilité à fixer les autres délais applicables au déroulement de l'expertise. Il en résulte que les dispositions du I et du II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 modifié, citées au point précédent, comportent des mesures relevant du domaine de la loi.
Or les dispositions d'habilitation de la loi du 23 mars 2020, citées au point 5, éclairées par l'exposé des motifs du projet de loi devenu la loi du 23 mars 2020 et les travaux parlementaires en ayant précédé l'adoption, permettaient de prendre des mesures ayant pour objet, pour celles figurant au b) du 1° du I de l'article 9 de cette loi et relatives aux modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, d'organiser la consultation des instances représentatives du personnel par voie dématérialisée, et, pour celles figurant au b) du 2° du I du même article et relatives à l'adaptation, l'interruption, la suspension et le report du terme de certains délais, d'instaurer un moratoire sur les délais qu'elles mentionnent et ainsi en reporter le terme. Aucune de ces dispositions n'habilitait le Gouvernement à réduire les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques, ni les délais applicables au déroulement des expertises décidées dans le cadre de ces procédures par les comités. Par suite, les dispositions des I et II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 méconnaissent le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement par les dispositions figurant au onzième alinéa du b) du 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 ou au b) du 2° du I du même article.
Il résulte de ce tout qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'Union syndicale Solidaires et autre sont fondés à demander l'annulation des I et II, ainsi que des III, IV et V qui en sont indivisibles, de l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020.
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 2 mai 2020 :
Les dispositions de l'article 1er du décret du 2 mai 2020, en tant qu'elles fixent des délais qui se substituent à des délais fixés par voie de stipulations conventionnelles ainsi que, dans la même mesure, celles de l'article 3 de ce décret, ont été prises sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 modifié. En outre, il est constant que les autres dispositions du décret ne sont, en l'espèce, intervenues qu'en raison des dispositions de l'article 9 de cette ordonnance. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que ce décret doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 prononcée ci-dessus.
Sur les conséquences de l'illégalité des décisions attaquées :
L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'annulation des dispositions de l'ordonnance et du décret attaqués, qui n'ont été applicables que quatre mois et qui ne le sont plus à la date de la présente décision, seraient susceptibles d'emporter des conséquences justifiant de réputer définitifs leurs effets passés, alors, au demeurant, que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion se borne à évoquer, sans plus de précision, qu'une telle annulation pourrait seulement donner lieu à l'engagement d'éventuelles actions indemnitaires en vue d'obtenir la réparation des préjudices susceptibles d'être causés par l'organisation de procédures passées d'information et de consultation des comités sociaux et économiques si elles devaient être regardées comme étant rétroactivement entachées d'irrégularité ou de nullité.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros, d'une part, à l'Union syndicale Solidaires, d'autre part, au Syndicat des avocats de France, enfin à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020, est annulé.
Article 2 : Le décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 est annulé.
Article 3 : L'État versera une somme de 1 500 euros, d'une part à l'Union syndicale Solidaires, d'autre part, au Syndicat des avocats de France, enfin, à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat des avocats de France, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
D'une part, l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose, à son I, que, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, des mesures relevant du domaine de la loi qu'il énumère. Il s'agit notamment, ainsi qu'il résulte du b) du 1° du I de cet article, de mesures prises "afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure (...) en matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet (...) de modifier les modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d'émettre les avis requis dans les délais impartis, et de suspendre les processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours (...) ". Il s'agit également de mesures, comme le prévoit le b) du 2° du I de cet article, prises "afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure (...) adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. (...) ".
D'autre part, aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 modifié, prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 : " I. Par dérogation aux articles mentionnés aux 1° et 2° du présent I ainsi que, le cas échéant, aux stipulations conventionnelles en vigueur, les délais, exprimés en jours calendaires, applicables lorsque l'information ou la consultation du comité social et économique et du comité social et économique central porte sur les décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 sont fixés ainsi qu'il suit : / 1° Le délai mentionné à l'article L. 2315-30 du code du travail est fixé à deux jours au moins avant la réunion ; / 2° Le délai mentionné à l'article L. 2316-17 du même code est fixé à trois jours au moins avant la réunion. / II. -Un décret en Conseil d'Etat définit, le cas échéant, par dérogation aux stipulations conventionnelles applicables, les délais relatifs : / 1° A la consultation et à l'information du comité social et économique sur les décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 ; / 2° Au déroulement des expertises réalisées à la demande du comité social et économique lorsqu'il a été consulté ou informé dans le cas prévu au 1°. / III. -Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux informations et consultations menées dans le cadre de l'une ou l'autre des procédures suivantes : / 1° Un licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, dans les conditions prévues à la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail ; / 2° Un accord de performance collective mentionné à l'article L. 2254-2 du même code. / IV. - Les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée ne s'appliquent pas aux délais mentionnés au présent article. / V. -Les dispositions du présent article sont applicables aux délais qui commencent à courir avant une date fixée par décret et, au plus tard, avant le 31 décembre 2020. / Pour les délais définis au I, les dispositions du présent article s'appliquent aux délais qui commencent à courir à compter de la publication de la présente ordonnance. / Pour les délais définis au II, les dispositions du présent article s'appliquent aux délais qui commencent à courir à compter de la date de publication du décret en Conseil d'Etat mentionné au même II. Toutefois, lorsque les délais qui ont commencé à courir antérieurement à cette date ne sont pas encore échus, l'employeur a la faculté d'interrompre la procédure en cours et d'engager, à compter de cette même date, une nouvelle procédure de consultation conformément aux règles prévues par la présente ordonnance ".
En principe, les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques résultent, s'agissant du délai d'envoi de l'ordre du jour, des articles L. 2315-30 et L. 2316-17 du code du travail, s'agissant des autres délais, d'un des accords collectifs mentionnés à l'article L. 2312-16 du code du travail et, à défaut, de dispositions réglementaires. En outre, le délai maximal dans lequel, dans le cadre de ces procédures d'information et de consultation, l'expert remet son rapport a vocation à être fixé par l'un des accords collectifs mentionnés à l'article L. 2315-85 du code du travail et à défaut, par voie de décret en Conseil d'Etat, lequel est également habilité à fixer les autres délais applicables au déroulement de l'expertise. Il en résulte que les dispositions du I et du II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 modifié, citées au point précédent, comportent des mesures relevant du domaine de la loi.
Or les dispositions d'habilitation de la loi du 23 mars 2020, citées au point 5, éclairées par l'exposé des motifs du projet de loi devenu la loi du 23 mars 2020 et les travaux parlementaires en ayant précédé l'adoption, permettaient de prendre des mesures ayant pour objet, pour celles figurant au b) du 1° du I de l'article 9 de cette loi et relatives aux modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, d'organiser la consultation des instances représentatives du personnel par voie dématérialisée, et, pour celles figurant au b) du 2° du I du même article et relatives à l'adaptation, l'interruption, la suspension et le report du terme de certains délais, d'instaurer un moratoire sur les délais qu'elles mentionnent et ainsi en reporter le terme. Aucune de ces dispositions n'habilitait le Gouvernement à réduire les délais d'information et de consultation des comités sociaux et économiques, ni les délais applicables au déroulement des expertises décidées dans le cadre de ces procédures par les comités. Par suite, les dispositions des I et II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 méconnaissent le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement par les dispositions figurant au onzième alinéa du b) du 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 ou au b) du 2° du I du même article.
Il résulte de ce tout qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'Union syndicale Solidaires et autre sont fondés à demander l'annulation des I et II, ainsi que des III, IV et V qui en sont indivisibles, de l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020.
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 2 mai 2020 :
Les dispositions de l'article 1er du décret du 2 mai 2020, en tant qu'elles fixent des délais qui se substituent à des délais fixés par voie de stipulations conventionnelles ainsi que, dans la même mesure, celles de l'article 3 de ce décret, ont été prises sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 modifié. En outre, il est constant que les autres dispositions du décret ne sont, en l'espèce, intervenues qu'en raison des dispositions de l'article 9 de cette ordonnance. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que ce décret doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de l'article 9 de l'ordonnance du 22 avril 2020 prononcée ci-dessus.
Sur les conséquences de l'illégalité des décisions attaquées :
L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'annulation des dispositions de l'ordonnance et du décret attaqués, qui n'ont été applicables que quatre mois et qui ne le sont plus à la date de la présente décision, seraient susceptibles d'emporter des conséquences justifiant de réputer définitifs leurs effets passés, alors, au demeurant, que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion se borne à évoquer, sans plus de précision, qu'une telle annulation pourrait seulement donner lieu à l'engagement d'éventuelles actions indemnitaires en vue d'obtenir la réparation des préjudices susceptibles d'être causés par l'organisation de procédures passées d'information et de consultation des comités sociaux et économiques si elles devaient être regardées comme étant rétroactivement entachées d'irrégularité ou de nullité.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros, d'une part, à l'Union syndicale Solidaires, d'autre part, au Syndicat des avocats de France, enfin à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 9 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020, est annulé.
Article 2 : Le décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 est annulé.
Article 3 : L'État versera une somme de 1 500 euros, d'une part à l'Union syndicale Solidaires, d'autre part, au Syndicat des avocats de France, enfin, à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat des avocats de France, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.