Dans un rapport publié le 23 février, le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) pointe de nouvelles inégalités que subissent les femmes en raison d'une mise en oeuvre plus importante du télétravail ces derniers années à la suite de la crise sanitaire. "Le télétravail, tel que pratiqué pendant la crise sanitaire, a mis en évidence le fait que ce mode d’organisation du travail était porteur d’enjeux spécifiques pour les femmes tant au niveau de leurs conditions de travail que de leur santé et qu’il pouvait avoir des conséquences négatives en termes d’égalité professionnelle".
Le HCE délivre des recommandations pour rééquilibrer la situation.
► A noter : le rapport traite du télétravail et du travail hybride qui inclut une partie de l'activité salariée en télétravail.
Les conséquences néfastes du télétravail sur les femmes
1. Un espace de travail et un équipement de travail moins adaptés
D'une part, les femmes bénéficient moins souvent d’un espace de travail et d’un équipement adaptés à leur domicile, comme l'a révélé l’étude Coconel de l'Ined. Ainsi, pendant le premier confinement les hommes étaient 39 % à disposer d’une pièce dédiée au travail contre 25 % de femmes. Par ailleurs, les femmes sont plus nombreuses à partager leur pièce avec d’autres personnes (39 % contre 24 % d’hommes).
D'autre part, toujours lors du premier confinement, les femmes étaient moins bien équipées en outils informatiques et avaient moins souvent accès à un matériel adapté lorsqu’elles étaient en télétravail (l’enquête Ugict-CGT de 2020 a ainsi révélé que 52 % des femmes étaient privées d’un matériel et d’un équipement adéquats contre 42 % des hommes), même si l'Anact fait état d'une amélioration de la situation lors d'une consultation menée en 2021.
2. Des conditions de travail empêchées ou dégradées
Selon l’enquête BCGIpsos, les femmes ont 1,5 fois plus de risques d’être fréquemment interrompues dans leur travail (dû notamment aux enfants présents au domicile). Par ailleurs, elles subissent plus fréquemment des "processus de dématérialisation inaboutis" car elles "travaillent généralement dans des secteurs moins préparés au télétravail dans lesquels le processus de digitalisation du travail est moins abouti".
Le télétravail n'est pas non plus sans impact sur le temps de travail des femmes. Ainsi, le télétravail engendre un risque d’augmentation du temps de travail, qui est particulièrement accru pour les femmes, 23 % d’entre elles déclarent avoir vu leur temps de travail augmenter contre 15 % pour les hommes selon l'Insee et la Drees. Par ailleurs, l’enquête Ugict-CGT a révélé qu’en 2020, 78 % des employeurs n’avaient pas défini les plages de disponibilités de leurs salariés, et en 2021 c’était encore le cas pour 60 %.
3. La porosité des temps de vie professionnelle et personnelle
"Les femmes sont touchées dans des proportions plus importantes par ce risque, leur temps de travail dans la journée étant souvent interrompu pour la gestion de tâches domestiques et familiales, observe le rapport. Elles compensent généralement ce temps de travail perdu sur des horaires de travail atypiques : tôt le matin, tard le soir ou encore les week-end. A titre d’exemple les heures de pause en télétravail sont utilisées afin de pouvoir gérer des tâches domestiques ou familiales et moins l’occasion de créer du lien". L'une des conséquences est la diminution du temps de loisirs pour les femmes en télétravail comparativement aux femmes qui restent en présentiel.
Autre danger, celui pour les femmes d'être "réassignées à domicile avec le risque que le télétravail soit perçu comme un mode de garde" avec le risque que "certaines entreprises [mettent] en oeuvre des politiques de soutien à la parentalité moins disantes (exemple : remise en cause des journées enfants malades négociées sous prétexte que le télétravail permettrait de gérer une telle situation ou encore fermeture de crèche d’entreprise)".
4. Les effets sur la santé des femmes et le risque d'exposition aux violences sexistes et sexuelles
Le télétravail implique des conséquences directes et indirectes sur la santé des télétravailleurs, notamment des TMS, des risques psychosociaux, l'augmentation de la sédentarité, des équipements inadaptés... La santé mentale des salariés est également impactée par le télétravail : symptômes dépressifs, augmentation de l’anxiété et du stress, risque d’épuisement professionnel, isolement social.
Le rapport pointe en outre un risque de cyber harcèlement des femmes, "rendu d’autant plus aisé dans un contexte de télétravail et de visioconférence où le lieu de vie et l’intimité de la salariée peuvent être donnés à voir". Par ailleurs, souligne le HCE, "le passage à de nouveaux modes d’organisation et de communication induit par le télétravail, a vu se multiplier les comportements sexistes (exemples : remarques sur le physique via Zoom, phénomène de mansrupting (*) majoré par le fait qu’il est apparu que les femmes avaient davantage de difficulté à prendre la parole en visioconférence, mise à l’écart de manière intentionnelle de boucles d’emails ou ne pas envoyer d’invitations...)".
L'autre risque accru concerne les violences domestiques. En effet, explique le rapport, "la pratique du télétravail est susceptible de représenter un risque de surexposition aux violences domestiques pour les personnes victimes de telles violences, lesquelles sont majoritairement des femmes (...). Le risque est que le télétravail assigne les salariées victimes de violence domestique à domicile, avec leur agresseur (...). En outre, le fait de télétravailler réduit les opportunités de détection des violences par l’employeur et les autres salariés".
5. Les risques pour leurs opportunités de carrière
Le rapport identifie également le risque de réduction des opportunités de carrières avec un retour en présentiel moins marqué pour les femmes comparé à celui des hommes. Il existe également l'éventualité d'une déconnexion avec les réseaux professionnels, "dont on sait qu’ils jouent un rôle important dans les opportunités d’évolution de carrière". Enfin la représentation négative du télétravail et une pénalisation des carrières. "Le risque pour les télétravailleurs est que leur travail soit invisibilisé comparativement aux personnes revenues en présentiel. Ce phénomène se trouve potentiellement accentué pour les femmes dans la mesure où il a été constaté qu’en situation de télétravail, lors des réunions en visioconférence, les femmes avaient tendance à moins prendre la parole".
Les recommandations pour améliorer les conditions de travail des femmes en télétravail
1. Par la négociation collective
La négociation collective, en encadrant le télétravail, peut permettre d'améliorer les conditions de travail des femmes en télétravail. Le HCE recommande d'intégrer le sujet de l’égalité professionnelle dans toutes ses dimensions dans les accords collectifs (de branche ou d'entreprise) sur le télétravail ou à défaut, dans les chartes, et inversement, d'introduire dans la négociation sur l’égalité professionnelle/ QVCT un thème dédié au télétravail.
Cela suppose de sensibiliser les négociateurs aux enjeux d’égalité, d'établir un diagnostic des inégalités femmes/hommes préalable, de faire un pronostic d’impacts du travail sur les situations de travail des femmes et des hommes ou encore de mettre en place des indicateurs de suivi des inégalités et du télétravail genrés.
Le HCE recommande également aux partenaires sociaux de limiter, dans le cadre des accords collectifs ou des chartes le nombre de jours pouvant être télétravaillés par semaine et de réserver le télétravail à 100 % à des situations exceptionnelles (femmes enceintes, salariés en situation de handicap).
► Il est également préconisé de mettre en place au niveau des branches professionnelles des actions de sensibilisation des employeurs et des salariés (particulièrement pour les TPE/PME) afin de donner à voir les impacts genrés du télétravail.
Les accords de branche ou d'entreprise doivent également veiller à établir des critères d’éligibilité au télétravail basés sur les activités et non sur les métiers, en ayant une vigilance vis-à-vis des potentielles discriminations directes ou indirectes, y compris dans la définition des tâches télétravaillables. L’usage d’une telle méthode a ainsi pour effet direct d’élargir le champ des métiers éligibles au télétravail.
2. Par l'accompagnement des salariés
Afin d'éviter les inégalités de situation, le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes préconise de garantir aux salariés les équipements et outils nécessaires à un télétravail de qualité et les former à leur usage, de réintroduire dans le code du travail le principe selon lequel l’employeur doit prendre à sa charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, de garantir l’effectivité du droit à la déconnexion, de former les managers au management des salarié en télétravail /travail hybride en incluant un volet égalité professionnelle", de garantir à chaque salarié un espace de travail adapté sur le site de l’entreprise et développer les tiers lieux comme alternative au domicile.
3. En prévenant les risques sur la santé physique et mentale des salariées
Le HCE recommande de développer des mesures de prévention des violences sexistes et sexuelles en situation de télétravail en y intégrant un volet sur les violences domestiques afin d’en faire un levier à sa mise en œuvre égalitaire.
Le DUERP a également son rôle à jouer en intégrant les risques liés au télétravail en tenant compte de l’impact différencié de l’exposition aux risques en fonction du sexe et mettre en place un plan d’action adapté. Il faut également veiller à associer les services de prévention et de santé au travail à la mise en place et au suivi du télétravail.
4. Mettre en place un suivi de la carrière des femmes en télétravail
Le HCE recommande aux employeurs de mettre en place un suivi de l’évolution de carrière des salariés en télétravail et/ou travail hybride. Ce suivi pourra porter notamment sur l’évolution de la rémunération, les promotions ou encore sur l’accès à la formation. Il pourra s’effectuer en lien avec l’entretien annuel prévu à l’article L.1222-10 du code du travail.
Il est également suggéré d'intégrer des indicateurs "télétravail" dans la partie "égalité professionnelle" de la BDESE - ce qui nécessite d’enrichir le contenu du diagnostic et analyse de la situation comparée des femmes et des hommes - afin de pouvoir appréhender l’impact dans le temps du télétravail sur les évolutions de carrière, la rémunération ou encore l’employabilité des femmes et des hommes. Ces indicateurs qui doivent être genrés, pourront notamment préciser le nombre de jours de télétravail demandés avec une répartition par poste et niveau hiérarchique ainsi que le nombre de refus (avec de même une répartition par poste et niveau hiérarchique).