L'année 2008 sera-t-elle celle d'un grand chamboulement social ou simplement celle d'une réunionnée aiguë ? Derrière le feu nourri de réformes auxquelles Nicolas Sarkozy soumet les syndicats se joue une partie décisive pour le dialogue social en France. Contrat de travail, modalités de licenciement, assurance-chômage, représentativité des syndicats, formation professionnelle, ANPE-Unédic, sans parler d'une prochaine conférence sur la protection sociale : le calendrier s'annonce chargé. Il est surtout lourd de symboles. Car, pour la première fois, les syndicats acceptent de négocier sur certains sujets dont, sur le principe, ils ne voulaient même pas entendre parler.
Virage historique
Fin 2007, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a montré la voie en proposant lui-même d'ouvrir de nouvelles pistes de négociation sur les régimes spéciaux à la veille des grèves de novembre. Loin d'être un simple épiphénomène, ce virage historique est une vraie tendance. Aujourd'hui, face au patronat, les syndicats négocient sur des sujets très sensibles, comme le contrat de travail. Laurence Parisot, présidente du Medef, se réjouit : «C'est un changement énorme de leur part d'accepter de discuter des modalités de séparation à l'amiable.» Jean-Dominique Simonpoli, ancien de la CGT et directeur du club de réflexion sociale Dialogues, le reconnaît : «il y a dix ans, voire cinq, on ne pouvait pas parler de ces sujets : la séparation de gré à gré, le contrat de projet [proposé par le Medef. NDLR]. En2004, la commission de Virville avait proposé en vain le contrat de mission. Le contrat de projet dont on parle aujourd'hui, c'est la même chose.»
Du côté de l'exécutif, le changement est tout aussi spectaculaire. Par son omniprésence, Nicolas Sarkozy cherche à montrer que sous son règne, jamais la démocratie sociale n'aura atteint un tel niveau. C'est lui qui, au téléphone, a réglé avec Bernard Thibault la fin des grèves contre les régimes spéciaux. C'est lui qui a présidé, le 19 décembre, la conférence sociale fixant l'agenda de 2008. Ce jour-là, le patron de la CGT s'en est réjoui : «C'est la première fois que, enfin d'année, le chef de l'Etat se concerte avec les organisations syndicales sur le plan de réformes pour l'année à venir.» Même si la loi du 31 janvier exige une phase de concertation pour tout projet gouvernemental de transformation sociale, elle ne requiert pas la présence du président...
Reste un risque majeur, inhérent au rythme même du bouleversement social en cours. Celui d'étouffer, à force d'avoir voulu tout embrasser.
Réformes accélérées
Le menu du mois de janvier ? Du jamais-vu : loi sur la fusion ANPE-Unédic le 8 au Parlement, séance de négociation syndicats-patronat sur le marché du travail les 9 et 10, examen au Sénat du projet de loi sur le pouvoir d'achat (avec la possibilité de racheter ses jours de RTT) le 23, premier rendez-vous sur la représentativité syndicale le 24... Président du syndicat des cadres CFECGC, Bernard Van Craeynest parle d'un mouvement brownien d'agitation permanente, de coups de communication et de lois peu efficaces, comme celle sur les heures supplémentaires». A la CFTC, le numéro un, Jacques Voisin, critique également l'accélération : «Le pré- sident nous parle souvent de l 'impatience des Français. Je vois surtout que c'est important pour les politiques de réformer avant les municipales. Ca se comprend. Mais de là à agir dans l'urgence...» Ces deux petits syndicats ont d'ailleurs dû embaucher pour tenir le rythme : trois juristes pour le premier, huit conseillers pour le second.
Autonomie espérée
Cette collection de rendez-vous débouchera-t-elle sur une plus grande autonomie des syndicats de salariés et de patrons ? La CFDT le souhaiterait. «E ne faut pas laisser passer le train, même si en un an on ne pourra pas transformer des habitudes vieilles de dizaines d'années : le législateur décide, les syndicats s'opposent», répond un proche de François Chérèque. Jean-Dominique Simonpoli, du club Dialogues, renchérit : «Les partenaires sociaux ont envie d'entrer pleinement dans le champ de la négociation, de montrer qu'ils peuvent devenir autonomes. Si l'on arrive à un accord sur le contrat de travail, cela peut renforcer le syndicalisme, lui donner une seconde jeunesse.» D'autres sont plus sceptiques, tel Christian Larose (CGT), vice-président du Conseil économique et social : «Le rythme des réformes ne tient pas la route. Chaque sujet mériterait une réflexion plus approfondie, d'autant plus qu'il y a de nombreux désaccords entre les partenaires sociaux. Les réformes seront bâclées.»
Enfin, certains attendent les résultats pour juger. Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales, le résume ainsi : «Avec la réforme des régimes spéciaux, nous avons vu que Sarkozy avait la volonté de ne pas passer sur le ventre des syndicats. Ca change de la période du CPE. Le conflit sur les régimes spéciaux s'est achevé sur une logique de compromis, ce qui est rare. Est-ce que cela va faire école ? Le pouvoir met les formes, mais il faut attendre de voir si les demandes des syndicats seront prises en compte.» Une première réponse sera donnée mi-janvier, lorsqu'on saura si la négociation sur le contrat de travail a abouti.
Changement hypothétique
Directeur général du cabinet de conseil Altedia, Xavier Lacoste sent néanmoins une évolution notable : «La situation bouge, mais il est encore difficile de voir ce qui va en sortir. E se peut que rien ne change, il se peut aussi que la production de la norme sociale en France soit modifiée. Comme le disait Gramsci : «L'ancien se meurt, le nouveau ne parvientpasàvoirlejour.»» Même espoir, même prudence pour Jean-Marie Pernot : selon lui, un pas important vers l'autonomie des syndicats sera accompli «quand les partenaires sociaux se saisiront d 'une question non inscrite à l 'agenda présidentiel».
Quatre mesures prioritaires
- Contrat de travail : Le patronat veut améliorer la «séparabilité» des salariés, à savoir la possibilité de licencier.
- Représentativité : La CGT, la CFDT et SUD veulent revoir le régime de 1966 qui définit a priori 5 syndicats comme représentatifs, et donc aptes à signer des accords d'entreprise.
- Dialogue social : Le gouvernement veut donnera l'entreprise plus de liberté pour fixer les règles sur le temps de travail.
- Protection sociale : Le chef de l'Etat veut cibler les publics prioritaires pour certaines prestations et porter à 41 ans en 2012 la durée minimale de cotisation pour la retraite.
Virage historique
Fin 2007, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a montré la voie en proposant lui-même d'ouvrir de nouvelles pistes de négociation sur les régimes spéciaux à la veille des grèves de novembre. Loin d'être un simple épiphénomène, ce virage historique est une vraie tendance. Aujourd'hui, face au patronat, les syndicats négocient sur des sujets très sensibles, comme le contrat de travail. Laurence Parisot, présidente du Medef, se réjouit : «C'est un changement énorme de leur part d'accepter de discuter des modalités de séparation à l'amiable.» Jean-Dominique Simonpoli, ancien de la CGT et directeur du club de réflexion sociale Dialogues, le reconnaît : «il y a dix ans, voire cinq, on ne pouvait pas parler de ces sujets : la séparation de gré à gré, le contrat de projet [proposé par le Medef. NDLR]. En2004, la commission de Virville avait proposé en vain le contrat de mission. Le contrat de projet dont on parle aujourd'hui, c'est la même chose.»
Du côté de l'exécutif, le changement est tout aussi spectaculaire. Par son omniprésence, Nicolas Sarkozy cherche à montrer que sous son règne, jamais la démocratie sociale n'aura atteint un tel niveau. C'est lui qui, au téléphone, a réglé avec Bernard Thibault la fin des grèves contre les régimes spéciaux. C'est lui qui a présidé, le 19 décembre, la conférence sociale fixant l'agenda de 2008. Ce jour-là, le patron de la CGT s'en est réjoui : «C'est la première fois que, enfin d'année, le chef de l'Etat se concerte avec les organisations syndicales sur le plan de réformes pour l'année à venir.» Même si la loi du 31 janvier exige une phase de concertation pour tout projet gouvernemental de transformation sociale, elle ne requiert pas la présence du président...
Reste un risque majeur, inhérent au rythme même du bouleversement social en cours. Celui d'étouffer, à force d'avoir voulu tout embrasser.
Réformes accélérées
Le menu du mois de janvier ? Du jamais-vu : loi sur la fusion ANPE-Unédic le 8 au Parlement, séance de négociation syndicats-patronat sur le marché du travail les 9 et 10, examen au Sénat du projet de loi sur le pouvoir d'achat (avec la possibilité de racheter ses jours de RTT) le 23, premier rendez-vous sur la représentativité syndicale le 24... Président du syndicat des cadres CFECGC, Bernard Van Craeynest parle d'un mouvement brownien d'agitation permanente, de coups de communication et de lois peu efficaces, comme celle sur les heures supplémentaires». A la CFTC, le numéro un, Jacques Voisin, critique également l'accélération : «Le pré- sident nous parle souvent de l 'impatience des Français. Je vois surtout que c'est important pour les politiques de réformer avant les municipales. Ca se comprend. Mais de là à agir dans l'urgence...» Ces deux petits syndicats ont d'ailleurs dû embaucher pour tenir le rythme : trois juristes pour le premier, huit conseillers pour le second.
Autonomie espérée
Cette collection de rendez-vous débouchera-t-elle sur une plus grande autonomie des syndicats de salariés et de patrons ? La CFDT le souhaiterait. «E ne faut pas laisser passer le train, même si en un an on ne pourra pas transformer des habitudes vieilles de dizaines d'années : le législateur décide, les syndicats s'opposent», répond un proche de François Chérèque. Jean-Dominique Simonpoli, du club Dialogues, renchérit : «Les partenaires sociaux ont envie d'entrer pleinement dans le champ de la négociation, de montrer qu'ils peuvent devenir autonomes. Si l'on arrive à un accord sur le contrat de travail, cela peut renforcer le syndicalisme, lui donner une seconde jeunesse.» D'autres sont plus sceptiques, tel Christian Larose (CGT), vice-président du Conseil économique et social : «Le rythme des réformes ne tient pas la route. Chaque sujet mériterait une réflexion plus approfondie, d'autant plus qu'il y a de nombreux désaccords entre les partenaires sociaux. Les réformes seront bâclées.»
Enfin, certains attendent les résultats pour juger. Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales, le résume ainsi : «Avec la réforme des régimes spéciaux, nous avons vu que Sarkozy avait la volonté de ne pas passer sur le ventre des syndicats. Ca change de la période du CPE. Le conflit sur les régimes spéciaux s'est achevé sur une logique de compromis, ce qui est rare. Est-ce que cela va faire école ? Le pouvoir met les formes, mais il faut attendre de voir si les demandes des syndicats seront prises en compte.» Une première réponse sera donnée mi-janvier, lorsqu'on saura si la négociation sur le contrat de travail a abouti.
Changement hypothétique
Directeur général du cabinet de conseil Altedia, Xavier Lacoste sent néanmoins une évolution notable : «La situation bouge, mais il est encore difficile de voir ce qui va en sortir. E se peut que rien ne change, il se peut aussi que la production de la norme sociale en France soit modifiée. Comme le disait Gramsci : «L'ancien se meurt, le nouveau ne parvientpasàvoirlejour.»» Même espoir, même prudence pour Jean-Marie Pernot : selon lui, un pas important vers l'autonomie des syndicats sera accompli «quand les partenaires sociaux se saisiront d 'une question non inscrite à l 'agenda présidentiel».
Quatre mesures prioritaires
- Contrat de travail : Le patronat veut améliorer la «séparabilité» des salariés, à savoir la possibilité de licencier.
- Représentativité : La CGT, la CFDT et SUD veulent revoir le régime de 1966 qui définit a priori 5 syndicats comme représentatifs, et donc aptes à signer des accords d'entreprise.
- Dialogue social : Le gouvernement veut donnera l'entreprise plus de liberté pour fixer les règles sur le temps de travail.
- Protection sociale : Le chef de l'Etat veut cibler les publics prioritaires pour certaines prestations et porter à 41 ans en 2012 la durée minimale de cotisation pour la retraite.