L'IA, les conditions de travail et la prévention des risques psychosociaux
L’introduction de l’intelligence artificielle (IA) dans les organisations transforme profondément les méthodes de travail et bouleverse les conditions de travail, en particulier dans le secteur tertiaire. Ces évolutions, bien qu'orientées vers une optimisation des processus, présentent des enjeux majeurs en termes de prévention des risques psychosociaux (RPS) et de maintien d’un environnement de travail sain et équitable.
Selon l’article L.4121-1 du Code du travail, l’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés, en intégrant des actions de prévention, d’évaluation des risques, et d’amélioration des conditions de travail. La jurisprudence a renforcé cette obligation, en précisant que les employeurs doivent anticiper les conséquences des transformations technologiques susceptibles d’altérer la santé des salariés (Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888). Ainsi, l’arrivée de l’IA, qui modifie les tâches, les rythmes de travail, et les interactions professionnelles, doit être accompagnée d’une analyse approfondie de ses impacts sur les risques psychosociaux.
Les élus du Comité Social et Économique (CSE), en vertu des articles L.2312-8 et L.2312-9 du Code du travail, doivent être consultés sur les projets de transformation ayant des conséquences sur les conditions de travail. Leur rôle est central pour prévenir les risques liés à ces changements et pour garantir une transition technologique respectueuse des salariés.
1. Les transformations organisationnelles engendrées par l'IA Hypothèse de départ :
L’introduction de l’IA dans les processus de travail modifie les interactions humaines, automatise les tâches répétitives, et complexifie les prises de décision. Ces changements peuvent générer des opportunités de simplification mais aussi des risques pour les salariés.
État des lieux et analyse : Automatisation des tâches répétitives : L’IA peut traiter des volumes de données massifs, automatisant des fonctions telles que la gestion de la paie, le traitement des emails ou les réponses aux clients. Par exemple, les chatbots dans les services clients réduisent les besoins en agents humains pour les tâches simples. Complexification des tâches restantes : Les salariés doivent désormais traiter des problèmes plus complexes, souvent laissés de côté par l’IA. Cela exige une montée en compétences rapide et une capacité à gérer des situations exceptionnelles.
Cas concret :
Une entreprise de télécommunications a intégré un chatbot pour gérer les requêtes clients de niveau 1. Résultats :
65 % des tâches répétitives ont été automatisées. Les agents humains se sont concentrés sur des dossiers complexes, nécessitant des formations en résolution de conflits. 2. Les enjeux pour les élus du CSE : Garantir une transition juste et équitable Hypothèse de départ :
Les élus du CSE, s’ils ne sont pas formés ou accompagnés, risquent de ne pas anticiper les conséquences des transformations technologiques sur les salariés.
Analyse scientifique : Inégalités générées par l’IA : L’introduction de technologies nouvelles peut accentuer les écarts entre salariés formés aux outils numériques et ceux qui ne le sont pas. Une étude de McKinsey (2023) montre que 72 % des employés ressentent une forme d’injustice face à l’automatisation. Risques psychosociaux (RPS) : La surcharge cognitive, liée à l’apprentissage de nouveaux outils, est un facteur de stress. Selon l’INRS, 25 % des salariés confrontés à des changements organisationnels signalent des signes d’épuisement professionnel.
Cas concret :
Dans une société de consulting, un outil d’analyse RH prédictif a été déployé. Conséquences :
Les managers, mal formés, ont ressenti une perte de contrôle sur leurs décisions. Certains salariés ont exprimé des doutes sur la transparence des évaluations automatisées. Actions des élus du CSE : Exiger des formations pour tous afin de réduire la fracture numérique. Négocier des audits réguliers pour vérifier l’équité des algorithmes utilisés. 3. La transformation des compétences et des métiers dans le tertiaire Hypothèse de départ :
L’IA, en transformant les tâches et les processus, modifie également les métiers, nécessitant une requalification permanente.
Analyse scientifique : Disparition et création de postes : Selon une étude du World Economic Forum (2024), 85 millions d’emplois pourraient disparaître, mais 97 millions de nouveaux emplois liés à l’IA pourraient émerger d’ici 2025. Réduction de la charge physique mais augmentation de la charge mentale : L’IA réduit les efforts physiques (par exemple, via la dématérialisation des dossiers), mais augmente les sollicitations mentales.
Cas concret :
Une entreprise de gestion immobilière a introduit un logiciel prédictif pour anticiper les demandes de maintenance. Les gestionnaires ont dû apprendre à interpréter des données complexes, entraînant une surcharge cognitive pour ceux sans bagage technique.
Actions des élus du CSE : Définir des plans de formation individualisés pour accompagner la montée en compétences. Mettre en place un droit à la déconnexion pour limiter les interruptions numériques. 4. Les conditions de travail : Un enjeu de QVCT Hypothèse de départ :
L’introduction de l’IA, bien que bénéfique pour l’efficacité, peut affecter la qualité de vie au travail si elle n’est pas intégrée de manière équilibrée.
Analyse scientifique : Amélioration des conditions de travail : L’automatisation des tâches répétitives permet aux salariés de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Risque de désengagement : Une dépendance excessive aux outils d’IA peut réduire le sentiment de maîtrise des salariés, engendrant une perte de sens.
Cas concret :
Dans un service de comptabilité, l’automatisation des saisies a permis un gain de temps, mais les comptables se sont sentis marginalisés. Les élus du CSE ont obtenu un renforcement des missions stratégiques pour redonner un rôle clé aux salariés.
Pourquoi l’accompagnement des élus du CSE est une nécessité ?
Les transformations organisationnelles impulsées par l’IA ne sont pas neutres. Elles transforment en profondeur les métiers, les compétences, et les conditions de travail. Accompagner les élus du CSE est essentiel pour :
Anticiper les impacts organisationnels et sociaux. Protéger les salariés des risques liés aux transformations (RPS, fractures numériques). Construire une transition équitable, où les opportunités de l’IA profitent à tous. Perspectives :
Pour maximiser les bénéfices de l’IA tout en limitant les impacts négatifs, il est indispensable que :
Les entreprises renforcent le dialogue social autour de l’introduction de l’IA. Les élus du CSE deviennent des acteurs formés, capables d’accompagner les transformations et de négocier des mesures adaptées.