"Les inconvénients du télétravail ont tendance à se distiller petit à petit. Ils sont donc difficiles à déceler", remarque François Cochet, du cabinet Secafi. Le 14 septembre 2022, la Firps (Fédération des intervenants en risques psychosociaux) a dévoilé lors d’une conférence de presse son guide de bonnes pratiques sur le télétravail et la prévention des RPS. L’occasion pour ses membres de raconter ce qu’ils observent chez leurs clients.
Brigitte Vaudolon, de Pulso France, rapporte que beaucoup d’entreprises les contactent pour des problèmes relationnels liés au télétravail. "La distance accentue les malentendus", écrit la Firps dans son document. Les conflits sont parfois liés à des soucis de management, alors même que de nombreuses entreprises minimisent encore l’intérêt des formations sur le management à distance. Comme le rappelle François Cochet, le télétravail suppose de la confiance. À l’inverse, des dérives d’hyper-surveillance existent.
D’ailleurs, d’après Camy Puech, de Qualisocial, le nombre de situations de harcèlement moral rapportées a augmenté. Selon lui, cela s’expliquerait par une hausse des situations, mais aussi par un recours accru aux processus de signalement. Auparavant, les situations étaient plutôt désamorcées avec les supérieurs, davantage accessibles dans les bureaux qu’en télétravail. Célia Kuster, d’Ekilibre, nuance : selon elle, le nombre d’alertes a augmenté, mais les faits réels pas forcément. Quoi qu’il en soit, le malaise existe.
Effets de long terme
L’on savait déjà que le télétravail accentue certains facteurs de RPS tels que l’isolement, le manque d’autonomie ou de reconnaissance... Des effets plus surprenants, de moyen et long termes, commencent à être observés. Par exemple, les télétravailleurs peuvent être plus ou moins cantonnés à des tâches qu’ils maîtrisent alors que leurs collègues sur site sont davantage sollicités puis formés aux nouveautés. Conséquence : une disqualification progressive des premiers, rapporte François Cochet.
Voici un exemple précis d’un risque plus général : celui de l’inégalité et du sentiment d'iniquité, entre ceux qui peuvent recourir au télétravail et les autres, ou entre ceux qui bénéficient de conditions de télétravail plus avantageuses et les autres. Pour organiser le travail hybride, la Firps recommande un "cadre suffisamment clair", même si plusieurs de ses membres, comme Célia Kuster, prônent en même temps une certaine "flexibilité".
Les critères d’accès et de pratique doivent prendre en compte l’organisation du travail et être réévalués régulièrement, conseille la fédération. Elle ne préconise par un rythme de télétravail en particulier, mais rappelle qu’il faut d’abord analyser le travail. La Firps souligne que l’accord national interprofessionnel du 24 novembre 2020 – étendu en avril 2021 – fixe les principes du volontariat et de la réversibilité. Pour la Firps, les accords d’entreprise expérimentaux sont une bonne chose, incitent à évaluer puis ajuster.
Nouveaux collaborateurs
"Il convient dans la mesure du possible de privilégier le présentiel lors de l’intégration des nouveaux collaborateurs", conseille la Firps, qui dédie tout un chapitre à la question. Les interactions informelles sont importantes lors de ces moments. Notamment pour percevoir la culture d’entreprise et comprendre le travail réel au-delà du travail prescrit par son manager. Communiquer en amont, formaliser les interactions et développer des outils collaboratifs peuvent aider. Aussi, des entreprises interdisent le télétravail aux nouveaux. "Encore faut-il qu’ils ne se retrouvent pas tous seuls sur le site", alerte François Cochet.
Bref, "c’est un sujet complexe, puisque sur un même poste de travail, le télétravail n’aura pas les mêmes conséquences selon l’identité de la personne", pointe Isabelle Tarty, de l’IAPR. L’âge, le genre, le lieu de domicile etc. peuvent influencer les effets. De plus, "la personne elle-même peut ne pas voir les désavantages du télétravail, ou les voir mais ne pas les dire pour conserver les avantages", remarque François Cochet.
Les principes de base de la prévention restent conseillés. Le guide de la Firps liste une série de mesures relevant des préventions primaire, secondaire et tertiaire. On peut citer, pêle-mêle : s’assurer que ceux qui refusent le télétravail ne sont pas isolés, favoriser les formations en présentiel, mettre en place une organisation permettant de maintenir des échanges formels et informels entre un collaborateur et son manager pour prévenir le sentiment de manque de reconnaissance, ou encore, intégrer dans les entretiens annuels un point sur le télétravail pour identifier les situations à risque.