Cadre juridique de la dénonciation d'usage
En droit du travail français, un usage correspond à une pratique instaurée dans l’entreprise qui, au fil du temps, devient un droit implicite pour les salariés. Lorsqu’une entreprise souhaite mettre fin à un usage, elle doit respecter une procédure spécifique appelée dénonciation d’usage.
Réglementation légale
L’article L2261-10 du Code du travail définit la procédure de dénonciation d’un usage ou d’un accord collectif. La jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 25 mai 1999, n°96-43.744) impose à l’employeur de respecter trois étapes :
Informer les représentants du personnel (CSE) : Cette étape est obligatoire et doit être réalisée en réunion pour permettre un dialogue. Informer individuellement les salariés concernés : Chaque salarié doit être averti personnellement de la suppression de l’usage, dans un délai raisonnable. Respecter un délai de prévenance : Le délai entre l’annonce de la dénonciation et sa mise en œuvre effective doit permettre aux salariés et au CSE d’anticiper les conséquences. Problématique liée à la dénonciation d’une charte télétravail
Dans le contexte spécifique de la dénonciation d’une charte unilatérale liée au télétravail, instaurée durant la crise sanitaire, plusieurs enjeux apparaissent :
Des salariés, en accord avec leur manager, ont modifié leur lieu de résidence pour bénéficier de ce dispositif. La suppression de cette charte affecte directement leurs conditions de travail et leur équilibre de vie.
L’entreprise doit donc prévoir des mesures d’accompagnement adaptées, sous peine de créer des tensions sociales et des risques juridiques.
Méthodologie pour le CSE : agir pour négocier des mesures d’accompagnement 1. Obtenir des informations précises
Le CSE doit demander la présentation détaillée des raisons de la dénonciation de l’usage. Conformément à l’article L2312-8 du Code du travail, cette consultation est obligatoire. Les élus peuvent exiger :
Les motifs justifiant la suppression de la charte télétravail. Les impacts prévus sur les salariés (mobilité, coûts, équilibre vie professionnelle/vie personnelle,...). 2. Établir un diagnostic des besoins des salariés
En absence de délégué syndical, le CSE peut organiser une enquête auprès des salariés pour :
Identifier ceux impactés par la fin du télétravail. Recueillir leurs besoins spécifiques (mobilité, logement, frais de transport, garde d’enfants). 3. Proposer un cadre de négociation
Le CSE doit formuler des demandes concrètes pour minimiser les impacts de la dénonciation. Ces demandes peuvent inclure :
Une aide à la mobilité géographique, comme une prise en charge des frais de déménagement. Un accompagnement logement via Action Logement, pour aider les salariés à trouver un logement adapté. La prise en charge partielle des frais de transport pour les salariés contraints à des déplacements plus longs. Des solutions pour la garde d’enfants (crèches, aides financières). Autres, 4. Mobiliser un expert
Le CSE peut se faire assister par un expert-comptable ou un consultant spécialisé (article L2315-81 du Code du travail) pour analyser les propositions de l’entreprise et élaborer un argumentaire solide.
5. Négocier un accord collectif
Même en l’absence de délégué syndical, le CSE peut initier une négociation avec l’employeur. L’article L2232-23-1 du Code du travail permet aux élus d’obtenir un mandat pour négocier un accord collectif intégrant les mesures d’accompagnement.
Que peuvent faire les salariés individuellement ? 1. Contester la décision s’ils estiment un préjudice personnel
Les salariés concernés peuvent :
Saisir le Conseil des Prud’hommes pour demander une compensation en cas de modification substantielle de leur contrat de travail (changement de lieu de travail, augmentation des frais professionnels). Argumenter sur la base de l’article L1222-1 du Code du travail qui impose que toute modification des conditions de travail respecte les intérêts du salarié. 2. Demander un aménagement de poste
Les salariés peuvent solliciter directement leur manager ou le service RH pour négocier des aménagements spécifiques :
Maintien partiel du télétravail. Ajustement des horaires pour compenser les temps de trajet. 3. Faire appel au médiateur interne ou externe
En cas de conflit, les salariés peuvent recourir à un médiateur pour trouver une solution amiable avant d’engager une action en justice.
Pourquoi la vie de l’entreprise se joue au CSE ?
Le CSE est l’organe central du dialogue social dans l’entreprise. Les réunions du CSE permettent :
D’anticiper les impacts sociaux des décisions de l’employeur grâce à une consultation régulière. De co-construire des solutions en associant l’entreprise et les représentants des salariés. D’assurer la conformité légale des décisions de l’employeur, en évitant des contentieux coûteux.
La participation du SPST (Service de Prévention et de Santé au Travail) à ces discussions pourrait également enrichir les débats sur les impacts psychosociaux de la dénonciation et sur les solutions préventives adaptées.
Un dialogue social nécessaire pour un accompagnement réussi
La dénonciation d’une charte ou d’un usage, même justifiée, ne doit pas être vécue comme une régression par les salariés. Grâce à un dialogue social constructif, le CSE peut négocier des mesures d’accompagnement réalistes et adaptées, tout en permettant à l’entreprise de maintenir un climat social apaisé.
Pour les salariés, il est essentiel de faire valoir leurs droits et d’utiliser les outils juridiques à leur disposition pour garantir des conditions de travail respectueuses de leur situation personnelle.