Les Français viennent de payer au prix fort une grève à laquelle tout le monde s’attendait, età laquelle personne ne croyait vraiment. Le gouvernement savait d’avance les concessions auxquelles il lui faudrait se résigner, s’il voulait éviter d’obérer l’avenir. Les dirigeants des grandes confédérations syndicales, conscients de l’impopularité des régimes spéciaux, savaient qu’ils ne pourraient obtenir l’agrément de leurs bases que s’ils paraissaient arracher des ajustements qu’ils auraient pu négocier.
Les bases étaient partagées entre une majorité, qui cherchait à obtenir un maximum de gains immédiats, et une minorité d’extrême gauche, qui a testé, à cette occasion, et à la faveur de la carence du PS, sa capacité, bien réelle, de noyauter les mouvements spontanés et son pouvoir, de plus en plus inquiétant, de bloquer l’ensemble de la société : si l’activité économique va pouvoir reprendre, les universités sont encore paralysées. Quant à l’opinion, partagée entre le constat lucide de la nécessité des réformes et la peur du conflit, elle a visiblement décidé, en majorité, de soutenir le pouvoir dans l’exécution de son programme à condition qu’il ne provoque pas de crise.
Bref, ces grèves, que les syndicats menacent de relancer en décembre, sont aux réformes menées par Blair et Schröder, pour ne rien dire de Margaret Thatcher, ce que les grandes manœuvres sont à une vraie bataille. Elles laissent des chances à la poursuite des réformes, mais elles marquent également leur limite. La marge budgétaire laissée au gouvernement pour remédier à la baisse du pouvoir d’achat va s’en trouver fortement diminuée, et les réformes à venir exigeront des trésors d’imagination, dont certes le chef de l’État ne manque pas, pour ne pas subir les effets de l’alourdissement du climat.
On se demande souvent pourquoi ce qui est si difficile en France se fait à moindre coût, et sans normalisation à la scandinave, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou même dans des pays latins comme l’Espagne, voire l’Italie. Une première explication, bien connue, est la trop faible légitimité de syndicats qui, faute de pouvoir être en position de négocier rationnellement des intérêts sociaux, subissent des pressions qui les obligent à prendre en compte des intérêts politiques. Mais le fait que les secteurs les plus syndicalisés, comme les transports publics, soient précisément ceux où les grèves sont les plus dures, témoigne que la principale explication est ailleurs. Elle résulte de l’absence, dans le développement de nos conflits sociaux, d’une règle du jeu claire, contrôlée par le juge et acceptée par toutes les parties.
Cette absence de règle a une cause idéologique. Elle tient, pour l’essentiel, à l’héritage anarcho-syndicaliste de la charte d’Amiens, et au fait que le mouvement socialiste français, dans sa longue compétition avec le parti communiste d’un côté, et avec le parti radical de l’autre, a sacralisé le droit de grève au point de ressentir comme un sacrilège toute tentative de lui assigner des limites. Et cela, alors même que le préambule de la Constitution de 1946, repris dans notre charte fondamentale, dispose que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
Partout ailleurs en Europe, la concurrence du droit de grève, avec les autres droits fondamentaux, est admise, sous une forme écrite ou non écrite. Un rapport parlementaire comparatif sur le service minimum dans les services publics en Europe, dû au sénateur de l’Hérault Robert Lecou, faisait valoir, en décembre 2003, que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 consacre à la fois le droit de grève (article 28), le droit à une bonne administration (article 41), la liberté de circulation (article 45) et le droit au travail (article 15). Chaque pays équilibre ces droits en fonction de sa culture.
En Allemagne ou au Danemark, par exemple, les fonctionnaires n’ont pas le droit de grève, à la fois pour assurer la continuité du service public et comme contrepartie de la sécurité de l’emploi. En Espagne, la loi veille au respect des «services essentiels» incluant les transports, inscrits dans la Constitution. En Grande-Bretagne et en Suède, les règles sont minimales, mais, en vertu de l’Employment Act de 1982, les syndicats, pour pouvoir déclencher une grève, doivent envoyer au domicile des salariés un bulletin de vote financé par eux , la décision de faire grève doit être adoptée à la majorité par un vote par correspondance et à bulletin secret. En Suède, il n’est pas question d’engager une grève pendant la période de validité d’une convention collective. C’est ce que l’on appelle «la trêve sociale obligatoire».
Par comparaison, des cris d’orfraie ont accompagné le vote, en France, de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres, qui se borne pourtant à prévoir que les salariés non grévistes devront se déclarer 48 heures à l’avance et que l’organisation du service minimum aux heures de pointe sera laissée aux accords entre les syndicats et les autorités organisatrices des transports. Heureusement, les esprits évoluent. Les syndicats sont prêts à revoir les bases électives de leur légitimité. Il faut espérer que notre pays, qui sort d’un dérapage heureusement contrôlé, saura tirer la leçon de l’expérience pour modifier sa conduite et réviser ses freins.
Les bases étaient partagées entre une majorité, qui cherchait à obtenir un maximum de gains immédiats, et une minorité d’extrême gauche, qui a testé, à cette occasion, et à la faveur de la carence du PS, sa capacité, bien réelle, de noyauter les mouvements spontanés et son pouvoir, de plus en plus inquiétant, de bloquer l’ensemble de la société : si l’activité économique va pouvoir reprendre, les universités sont encore paralysées. Quant à l’opinion, partagée entre le constat lucide de la nécessité des réformes et la peur du conflit, elle a visiblement décidé, en majorité, de soutenir le pouvoir dans l’exécution de son programme à condition qu’il ne provoque pas de crise.
Bref, ces grèves, que les syndicats menacent de relancer en décembre, sont aux réformes menées par Blair et Schröder, pour ne rien dire de Margaret Thatcher, ce que les grandes manœuvres sont à une vraie bataille. Elles laissent des chances à la poursuite des réformes, mais elles marquent également leur limite. La marge budgétaire laissée au gouvernement pour remédier à la baisse du pouvoir d’achat va s’en trouver fortement diminuée, et les réformes à venir exigeront des trésors d’imagination, dont certes le chef de l’État ne manque pas, pour ne pas subir les effets de l’alourdissement du climat.
On se demande souvent pourquoi ce qui est si difficile en France se fait à moindre coût, et sans normalisation à la scandinave, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou même dans des pays latins comme l’Espagne, voire l’Italie. Une première explication, bien connue, est la trop faible légitimité de syndicats qui, faute de pouvoir être en position de négocier rationnellement des intérêts sociaux, subissent des pressions qui les obligent à prendre en compte des intérêts politiques. Mais le fait que les secteurs les plus syndicalisés, comme les transports publics, soient précisément ceux où les grèves sont les plus dures, témoigne que la principale explication est ailleurs. Elle résulte de l’absence, dans le développement de nos conflits sociaux, d’une règle du jeu claire, contrôlée par le juge et acceptée par toutes les parties.
Cette absence de règle a une cause idéologique. Elle tient, pour l’essentiel, à l’héritage anarcho-syndicaliste de la charte d’Amiens, et au fait que le mouvement socialiste français, dans sa longue compétition avec le parti communiste d’un côté, et avec le parti radical de l’autre, a sacralisé le droit de grève au point de ressentir comme un sacrilège toute tentative de lui assigner des limites. Et cela, alors même que le préambule de la Constitution de 1946, repris dans notre charte fondamentale, dispose que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
Partout ailleurs en Europe, la concurrence du droit de grève, avec les autres droits fondamentaux, est admise, sous une forme écrite ou non écrite. Un rapport parlementaire comparatif sur le service minimum dans les services publics en Europe, dû au sénateur de l’Hérault Robert Lecou, faisait valoir, en décembre 2003, que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 consacre à la fois le droit de grève (article 28), le droit à une bonne administration (article 41), la liberté de circulation (article 45) et le droit au travail (article 15). Chaque pays équilibre ces droits en fonction de sa culture.
En Allemagne ou au Danemark, par exemple, les fonctionnaires n’ont pas le droit de grève, à la fois pour assurer la continuité du service public et comme contrepartie de la sécurité de l’emploi. En Espagne, la loi veille au respect des «services essentiels» incluant les transports, inscrits dans la Constitution. En Grande-Bretagne et en Suède, les règles sont minimales, mais, en vertu de l’Employment Act de 1982, les syndicats, pour pouvoir déclencher une grève, doivent envoyer au domicile des salariés un bulletin de vote financé par eux , la décision de faire grève doit être adoptée à la majorité par un vote par correspondance et à bulletin secret. En Suède, il n’est pas question d’engager une grève pendant la période de validité d’une convention collective. C’est ce que l’on appelle «la trêve sociale obligatoire».
Par comparaison, des cris d’orfraie ont accompagné le vote, en France, de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres, qui se borne pourtant à prévoir que les salariés non grévistes devront se déclarer 48 heures à l’avance et que l’organisation du service minimum aux heures de pointe sera laissée aux accords entre les syndicats et les autorités organisatrices des transports. Heureusement, les esprits évoluent. Les syndicats sont prêts à revoir les bases électives de leur légitimité. Il faut espérer que notre pays, qui sort d’un dérapage heureusement contrôlé, saura tirer la leçon de l’expérience pour modifier sa conduite et réviser ses freins.